3.14.2023

Emporté par la foule

En voyant la foule, l’on peut éculer les procédés. Dans le métro, dans la rue, là, lors d’un lotto à grande échelle, dans un stade, on peut se permettre des mises au point grossières. Et, des nouvelles foules invisibles, celles des écrans, on peut se permettre un grain faible, des pixels de Samsung. On peut parfaitement utiliser une machine de prise de vue pauvre, un matériel de montage gratuit, donc pauvre. Alors j’écule les procédés. Arrêt sur image, ralenti, accélération, superposition. Etre grossier en cinéma, comme elle est, la foule, grossière en société. Etre facile comme elle est facile. Je peux juste en vouloir un tout petit peu plus face à elle qui ne voudra jamais moins. Je vais la montrer en cinéma, en mouvement, elle qui est l’effet et la cause de tous nos statismes. Oui, il faut que tout change pour que rien ne change. La foule en est le garant. Si nos drames sont les mêmes que ceux d’Homère, c’est parce qu’elle est, dans la tragédie, et la scène et le destin. Le chemin de la foule est large, long et s’intrique en lui-même. Pour ceux et celles qui ont un petit peu d’amour du monde, n’y reste qu’une rime ou deux sur les paysages des catastrophes. Un peu de formes, dans un monde sans fond. Le chemin est fait pour la foule. Il est droit. Le route est promise, comme la bonne parole. Les oeillères de la foule sont les ornières de notre chemin.

 

Après avoir achevé la littérature et la musique, la peinture, on aurait pu croire au cinéma. Avec la couleur et le son, on aurait pu imaginer que cet art mineur réussirait à instiguer suffisamment de réalité dans la banalité, de compassion dans la bêtise et dans l’horreur pour que cette foule sache se détacher de ses lâchetés quotidiennes et trouve, dans sa médiocrité, un tout petit peu de courage pour que ses enfants traversent des cauchemars moins atroces que ses parents. Alors autant garder le noir et blanc, pour la défaite de l’image et du mot. Cette foule qui ne veut pas se voir, on ne peut la filmer qu’au rayon x. Avec l’image, on ne peut plus rien espérer. Game over. La foule est sevrée. Elle attend des exécutions en direct. Mais, comme je l’ai dit, elle l’était déjà avant l’image. Paul le savait et le “Dit du Genji” ne parle que d’amour.

 

La foule est une fête. De la cochonnaille, un tire-pipe, des familles nombreuses. Ce que ce monde pousse à l’obscène, c’est le simple fait de vivre. La mythologie du guerrier est inversée. Chaque strate de ton quotidien fait de toi, le meilleur soldat de la pseudo-joie. Ceux et celles qui jouissent de toi, du bois mort que tu es, fonde sur tes limons leurs nouvelles Venise. On pourrait dire que tu es bête, même, que tu es une bête. C’est juste lire, dans la vie une vision du séparé. Une énième vision du séparé. Tu n’es ni bête, ni une bête. Tu es juste lâche. Seul. Et lâche. Et ainsi, foule. Oui, la foule est la fête foraine. Le terrain vague avant. Le tire-pipe. Les ballons. Et le terrain vague après. Et la mort, c’est ainsi. Elle est mille fois ressuscitée. Nous sommes juste son horreur. La mort, il faut juste la laisser tranquille. La vie aussi.