4.12.2017

Brûler Bruges?








Du vase clos à la transversalité, de Janus au tête-à-tête, de la séparation à la solution homogène, la question s’est étirée et s’est affinée des monologues s’opposant au dialogue qui s’est précisé entre les Corps jusqu’à une hybridité qui, à force de s’amalgamer, se condense jusqu’à s’obscurcir un discours où le Je multiplié dans tant de Narcisses, ne voit plus la mare qui s’assêche, pas plus que les traits qui s’opaquent.
Du glissement historique du “il” ou du “eux” au “je”, de la parole et du geste sans histoire pour l’Histoire, du “je” qui prend conscience de l’autre “je” pour se résonner en “tu”, de ce vague “nous” où le collectif ne s’est proposé, via la critique, que pour s’entre-appuyer ses “je”, où des Salons aux journeaux, des galeries aux revues, la multiplications des canaux nous donne à voir une interaction qui rappelle, à la fois Bruge et la sous-utilisation des réseaux fluviaux et interfluviaux en Belgique. L’image, évidemment ne se réduit pas au Plat-Pays.
Bruges ne se vit pas et se voit à peine. Bruges idéal dans son dialogue à elle-même, splendeur et richesse auto-centrée qu’on prend en photo (mal), que l’on voit (à peine) et que l’on ne regarde plus vraiment. Pire encore, devant la masse ennuyée qui engrosse les ruelles, l’historien de l’art ou l’amateur éclairé, n’a plus que la pleine nuit pour apprécier les finesses de l’architecture.
Sur les réseaux fluviaux ne passent que de maigres et rares transporteurs. Maigres parce que la profondeur ne suffit pas à dépasser les 4000 tonnes, rares, parce que la vitesse et la puissance du carburant abondant (encore), monopolistique et les lobbys de l’asphalte qui semble plus lisse que l’eau, préfèrent au Bateliers ou aux Atalantes, les longues processions des 40 tonnes.
Dans les années septantes, les multiples courants de l’autonomie italienne posaient sur le discours du “nous” échoué celle du personnel. L’art conceptuel avait déjà résolu, dépassé et achevé le problème 10 ans avant. Cattelan, né dans une des villes les plus actives de ces années-là, pousse jusqu’au plus concret, l’effondrement du “je” et de son solliloque vers son absence, stade pré-ultime de son aliénation avant le vide dans la création de sa “wrong gallery”. Fermé pour cause de fermeture comme si Bruge murait ses portes.
Du “je” affirmé, stirnerien, vers un dialogue au “nous” plus stirnerien encore, “nous” d’un miroir sans teint, grahamien, le “je” exposé, dans son unicité rayonnante, dans un premier temps, s’implose dans la seconde moitié du XXe siècle, pour se reconstituer mais compartimenté, séparé dans un fordisme de l’identité qu’illustre, par exemple, Dan Graham, multipliant les médias (photographie, performance, installation,...), se dialoguant en méta (théorie, critique), transmettant, par la création d’une galerie, s’ouvrant donc, mais dans un vase clos. La porosité s’incarne dans un corps unique. Oui, il y aurait les sorties dans l’espace publique, lumineux et transparent, une volonté de se décentrer, un désir de périphérie, mais il s’agit toujours de ce “je” multiple, ce ‘je” qui s’implose dans l’art conceptuel depuis 40 ans et ravale ses façades comme on rénove celle de Bruge, mais qui ne sait surgir, exploser et se répandre, écouler, non un discours, non un “nous” ni même un “tu” mais un “vous”.
 “Je” est un autre englobé dans un “je” plus grand qui tendrait à se condenser et l’être moderne de l’artiste-écrivain est cette condensation qui s’écoule des vitres des oeuvres de Graham, en autres, à l’intérieur, toujours plus loin, plus profondément. Bruges ne s’enfonce pas dans sa lagune. Elle se consolide, dans un aménagement du territoire où son centre (le marché) se compose très bien des rues adjacentes (galeries Alaia), des ruelles plus cachées (Sternberg press), des vitrines clinquantes (Rizzoli) et des surfaces grand publique (Phaidon).

Une économie intégrée, rationnelle, en adéquation parfaite avec l’économie intégrée, rationnelle capitaliste. Un monde fonctionnel dans les mondes fonctionnels, non pas parallèle à eux mais amoureusement interconnecté et interagissant. Un art froid, aliéné et aliénant dans un monde globalisé aliéné et aliénant. Le politique présent de trop d’absence s’est fondu dans l’économique qui n’a, depuis longtemps, plus qu’un seul et même jeu à jouer. Et ce tout aussi hallucinamment et lascivement fade qu’effroyablement ultra-violent, tellement omniprésent et omnipotent qu’il s’en efface des consciences de Bruges. La production s’ammasse, se multiplie dans un même qui, plus que banaliser un discours, le nullifie à tel point qu’il n’y aurait même plus de spectacle à critiquer, tant la mise en abyme n’a laissé que de l’abyme, fascinant, évidemment à tout point de vue dès lors que nous voulions bien y descendre en bathyscaphe s’émerveiller de la nuit, du froid et des monstres. Revues, galeries, critiques, l’ombilic est une bonde qui ne finit pas de se vider. Certes, la recherche induite creuse, détaille, précise, mais c’est la méthode de la sécante où son algorythme de recherche tend au zéro de la fonction.
Alors l’Art et la Littérature se sont unies et solidifiée dans une forme totale du séparé tant à l’intérieur du biotope de la création que dans son mouvement vers l’extérieur. Reprenons. L'objet a pensé l'image. Le mot a pensé l'objet. L'objet seul. L'objet mis en scène. Le mot mis en scène. Le mot a pensé l'action. L'action s'est pensée toute seule. L'image, l'objet et le mot dansent. Le rien est devenu tout.
Hors Bruges, le réseaux des canaux, 41 pour la Belgique, reliant les fleuves aux fleuves et les villes aux villes au fond trop bas pour les bathyscaphes.
La nouvelle classe (les ouvriers, les employés précaires, les stagiaires, les chômeurs, les intermittents, les réfugiés, les sdf et les working poors) et les classes médianes (l'ancienne classe moyenne) ne veulent globalement pas d'art, ils veulent du divertissement.
L'élite (les universitaires riches et pauvres, les artistes riches ou pauvres, la upper class, les nouveaux riches, les héritiers) ne veut globalement pas d'art mais des vernissages.
Les artistes dans le mood ne veulent pas d'art, ils veulent du cul.
Les artistes du dimanche font. Mais on s'en fout parce qu'ils ne posent pas de question.
Jeff Koons bien entendu le comprends qui dit « l’art n’exige rien de vous, il attend et vous transforme » et son alliage d’acier sonnant et trébuchant avec Vuitton, manifeste à la fois a- et overpolitique, splendifie au centuple, le séparé totalement intégré, immensément concentré et concerné, détaché, ludique et victorieux.

Certes, il n’est qu’heureux que par la forme il ne soit plus possible de considérer d'art séparé comme il n'y a pas d'existence séparée. Ce que l’écrit vient chercher dans l’art et réciproquement, ce dialogue est une joie. D’ailleurs monter un film c'est de la musique. Filmer une scène, c’est de la photographie et de la chorégraphie. Peindre c'est lire l'image. Photographier c'est peindre, en musique. Ecrire c'est aussi tout que le tout qu'est le cinéma.
C’est la question de se poser la question, de lui donner de l’importance qui n’a de raison d’être que pour Bruges mais dont les canaux qui traversent le monde ne peuvent rien faire et n’en ont, d’ailleurs, rien à faire.
C’est la question d’aujourd’hui. Dans l’académisme de l’art conceptuel, faut-il une réaction ?
Ce que Koons propose c’est un sofa, une terrasse chauffée sur la grande place. Ce que Lawrence Weiner proposait, dans l’action que je considère comme étant la plus spécifique de rapprochement entre art et littérature en statuant : « - 1. L'artiste peut construire le travail - 2. Le travail peut être fabriqué - 3. Le travail peut ne pas être réalisé - Chaque proposition étant égale et en accord avec l'intention de l'artiste le choix d'une des conditions de présentation relève du récepteur à l'occasion de la réception » et plus particulièrement dans « Statements » c’est le dialogue direct par une œuvre à la fois achevée et en gestation possible. Ni transparence, ni pose, ni éclat. « Statements » représente justement ce que j’image par les 41 canaux qui traversent la Belgique.
Alors faut-il brûler Bruges ?
Bien sûr que non. Bruges vaut pour elle même et il est tout à fait possible de ne simplement pas y aller.
Ce qui est impossible, c’est de ne rien faire. Et non plus de partir d’une unité pour la séparé, mais de concevoir le séparé comme une donnée à réunifier et de proposer cette réunification, non pas comme une attente, mais une exigence du « je » vers une exigence du « vous », préalable à ce « nous » qui serait bon de retrouver.
















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