5.13.2017

Fiction ou vie nue










Je ne sais pas trop comment tout cela se passe. Je ne sais pas tellement comment me souvenir, ni d’où ça vient, ni si c’est vraiment vrai. Je décide que c’est vraiment vrai. Je ne sais pas encore pourquoi je décide que c’est vraiment vrai, parce que je ne sais pas encore exactement à quoi tout cela peut bien servir.
J’étais couché dans ma salle de bain, il y a quelques minutes encore, parce que je fais toujours la sieste dans la salle de bain et ce, depuis mes 11-12 ans, à tel point que la taille de la salle de bain a toujours été un critère important dans le choix de mes lieux de vie. J’ai bien essayé de m’en défaire durant les quatre année où j’ai vécu au 10 bis un des derniers squats qui n’a toujours pas été fermé à Genève, puis durnt les trois années que j’ai passé à vivre à l’hôtel le Gai-Rivage, par intermittence, à Rolle, tenu à l’époque par Emma Pittier, femme de Pittier, un salaud notoire qui prostituait sa fille, possédait deux doberman et avait un flingue sous sa stammtisch et qui était déjà mort quand j’y ai emménagé. La c’était plus simple, je n’avais tout simplement pas de salle de bain mais un évier dans la chambre.
J’étais donc couché dans ma salle de bain, enfin ce qui est encore ma salle de bain et ce, jusqu’à quand, je n’en sais trop rien, mais tout cela est une autre histoire et, là, je n’étais pas en train de faire la sieste, mais prolongé la grasse matinée que je n’ai jamais été capable de faire dans mon lit. Je commence chaque journée sur un tapis de sol, couché avec un livre en général et le sèche-cheveux ou le déshumidificateur, enfin un bruit récurrent et ronronnant et parfois je me rendors ou je somnole et quand je somnole, je cogite ou plutôt je pense ou plutôt je laisse venir des pensées et, ce matin, il y e encore quelques minutes, j’ai vu des images que j’avais vécues ces derniers mois.
Alors, elles, ces images, je sais qu’elles sont vraies. Mais comme d’habitude, elles viennent par bribes. Ce sont précisément des images parce que je suis incpable de me souvenir en cinéma mais toujours en photographie et, sans son. J’imagine ce qui a été dit mais je ne m’en rappelle jamais précisément, ce qui fait que, j’ai pas d’autre choix que d’interpréter et le déroulé des événements et leurs contenus ce qui permet à ma mère, parce exemple, de me dire que j’invente certains souvenirs. Lorsque j’en évoque d’autres, partagés avec des amis, la famille, des femmes, je me trouve alors face à leurs déroulés et leurs interprétations, ce qui, au final, nous donne une intersection plus ou moins vague pour une vie plus ou moins commune.
Quand je descends en Italie et, passé Livourne, vers La California, avant Cecina et que j’ouvre la fenêtre de la voiture ou du train, l’odeur des pins malgré le dioxyde de la SS1 me fait du bien, m’apaise je pourrais même dire. Je vais dans cette région depuis que je suis dans le ventre de ma mère, je crois donc que cette odeur est une odeur qui vient de loin, non pas la première de ma vie mais la première à se fixer et, même si je suis parfaitement incapable, lorsque je suis à Bruxelles, d’avoir cette odeur dans ma tête, elle revient quand je suis en Toscane et alors, ce souvenir, pratiquement, ne me sert à rien, puisqu’il ne me suffit que de continuer à aimer l’odeur des pins pour en ressentir la joie.
Dans la salle de bain, je pensais à une fille avec qui j’avais couché dernièrement. Je ne me remémorais pas le moment exact, mais j’utilisais les souvenirs de son appartement et de son corps pour créer un scénario érogène un peu pauvre mais fonctionnel. Je dis pauvre et fonctionnel parce que ce scénario n’aurait rien eu d’équivalent à l’effort que j’aurais pu mener pour simplement revoir cette fille et vivre une réalité qui aurait été bien plus enrichissante que ce suffisant couché sur un tapis de sol dans une journée grise comme il faut pour écrire un texte sur la fiction et la vie nue. Je me suis donc retrouvé, en pensée, via ma mémoire dans l’appartement de cette fille, sur son canapé quand d’autres images sont apparues, comme celle de mon ex-femme me demandant de garder les yeux ouverts pour éviter de penser à une autre ou, toujours elle, me racontant des trucs désagréables dans la cuisine où j’écris actuellement ou des images de moi, ivre, en train de gueuler sur sa meilleure amie au mariage de la soeur de celle-ci.
Bref. Je disais, en commençant ce travail, que je ne savais pas tant l’utilité de se souvenir, de l’utilité du souvenir, d’autant plus, si nous n’avons pas la mémoire adéquate pour, au moins, garder un film et un film parlant. Je ne le sais pas. Je ne sais d’ailleurs pas non à quoi cela sert d’avoir des perspectives, des plans, des rêves. Mais pour le passé, en revenant à l’exemple de mes flashs salle-de-bainiques, le souvenir agréable allait me conduire à un à peine suffisant plutôt minable et les souvenirs désagréables ont annihilé cette possibilité.
A quoi donc me servent le son de cette balle de basket sur le playground aménagé dans le jardin de la maison où vivait ma grand-mère et ma tante qui n’est pas sortie de sa maison pendant 17 ans ou le cling des bouteilles de l’usine à vin Schenk sise à Rolle? J’ai travaillé dans d’autres usines, je sors peu de chez moi, si ce n’est pour aller travailler. A quoi me sert le froid dur du crâne de mon père mort dans le funérarium de Nyon?
Le texte que je suis en train d’écrire, le roman dans le cadre des ateliers des écritures contemporaines foisonne de choses, d’éléments et d’événements qui me sont, d’une certaines manières, relatifs à l’interprétation que je suis en mesure d’en faire. L’odeur de mon père, je ne m’en rappelle pas. Je sais qu’elle était désagréable. J’ai des photos dans ma tête de mon père, quasi nu, la sonde pendant de sa queue et qui me souriait comme par défaut. J’ai tiré avec plusieurs armes différentes. Je sais ce que cela fait de tirer, de sentir le poids, la puissance, la mort possible et la terreur et l’excitation que cela produit. Je sais l’odeur de la cordite. Je sais ce que c’est que de penser aimer, de se faire une idée et une représentation de l’amour et d’essayer de vivre cette idée et l’échec évident qui conclut tout rêve réalisé ou, plutôt, semi-réalisé. Par contre, les chapitres où je décris l’enfance de mon père, sa désertion, ses années au goulag, 1956, les chapitres où je prends son “je”, sont clairement fictionnels tout en étant, je l’espère, plausibles.
Le sujet de ce travail est exactement un des sujets principaux de mon roman. En remplissant les colonnes, la vie nue se noircissait alors que la fiction restait vide. Tout semblait simple. Et plus je noircissais, plus il me semblait évident que je ne savais rien réellement à propos des éléments que j’introduisais. Ils remplissaient sur la page le même espace qu’ils remplissaient dans mon cerveau. Et pour quelle chierie de raison? Pourquoi garder des entrepôts qui ne livrent que du matériels parcellaires et défectueux?
Je ne résouds rien de ces questions. Même la fiction, le texte que j’écris ne résoud rien de ces questions. Ni la fiction, ni la mémoire ne me résolvent.
Mais on continuera quand même.




















Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire