2.11.2012

Sur les peintres/3 Pascal Duquenne ou l'absurde digéré

Pascal Duquenne en s'étirant sur plusieurs zones de la création ne se disperse pas, mais s'affine et se précise. Il est comme un cadre qui se déporte, une pensée qui pour mettre à plat sa densité, multiplie les gros plan et ce, on pourrait dire, pour établir une conscience détaillée.

On pourrait de ses nuits ou de ses jours vaporeux, diffus déduire une mise en espace absente, au mieux brumeuse, un non-monde où ses figures, personnages, corps évolueraient sans contexte et sans situation.
Je pense que c'est tout le contraire.
Chez Richard Moszkowicz l'espace est une masse asphyxiante, un paysage qui chute en nous. Mais chez Pascal Duquenne le vide apparent est aussi prégnant que les scénographies chez Beckett et ses nuits sont aussi terrorisantes qu'elles l'étaient lorsque l'électricité n'existaient pas encore, où les villes n'étaient pas engorgées de néons, où les ténèbres et les peurs naturelles qu'ils engendraient, étaient le lot quotidien de l'humanité.
Et ses lumières pâles, crémeuses et blafardes sont l'image exactement symétrique de la vraie nuit, la blancheur angoissante des chambres d'hôpital ou des toilettes publiques, néonniennes et carrelées.
L'espace manifesté dans son absence formel est un choix significatif. Le noir et le blanc flou existe réellement. Il suffit parfois, simplement, d'éteindre la lumière ou de l'allumer.
Et le traitement en gros plan choisit par Duquenne oblige à l'isolement et ce noir et ce blanc se décale alors vers le vide, non pas vers le rien qui suppose toujours quelque chose, ni vers le néant qui est toujours une distance, mais bien vers ce vide tellement dense et présent où l'être n'a d'autre choix que d'être.
Parce que les figures de Duquenne ne sont pas (toutes) marquées par la terreur ou l'angoisse. Elles sont diverses bien entendu, mais elles sont mises en scènes, consciemment et l'on a parfois l'impression d'êtres inconscients de leur(s) milieu(x) ou de leur(s) condition(s), de personnages curieux, prêts peut-être, désireux, oui, du monde, de ce qui pourrait advenir, confiants presque ou appliqués simplement à faire ce qu'ils ont à faire.
Et en eux, tout ce qui peut s'approprier le monde, yeux, bouche, sexe est représenté par des trous noirs, enlacés dans le corps comme un écrin et une plongée. Ses figures semblent être absorbées par le monde comme à leur insu, on pourrait dire naïvement, alors qu'en fait, elles le tranchent.
Il n'y a pas de justification, mais un état, une absurdité digérée et dans ces regards une résignation victorieuse.
Oui, ce sont des trous noirs, les mêmes que ceux qui interrogent la physique, qui amoureux transits de la matière et de la lumière l'avalent sans effort et dans la joie.
Et si les corps qui portent ces yeux, ces bouches, ces sexes ne sont pas lisses mais vibrant, c'est parce qu'ils ne peuvent être achevés, mais toujours en train d'être, en construction, en mouvement.
Les toiles de Duquenne nient le rien, le néant, la perte, l'absence. Elles ne jugent rien, ne condamnent ni n'approuvent rien.
Et elles ne disent rien.
Elles montrent.
Un état qui advient toujours dans un espace qui n'a pas de sens.
Toutes ces figures sont vivantes et elles ne demandent pas autre chose.


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