6.17.2015

Haïku de route-63/ Independance



On dirait une fête importante qui s'étire sur la route vers Independance. On sort de la mort en longeant la mort au combat; les hommages se répandent et flottent au poitrail de chaque maison. La route est encore tranquille alors qu'elle pourrait être gorgée du long week-end. Certaines maisons semblent fermées, en vacance; des jardins s'ouvrent pour des familles réunies. On passe et rate Manzanar et les restes du bloc 6, les jardins du bloc 34, les photos des barbelés en noir et blanc dans la memorial house et quelques grasses en short posant devant la stèle blanche. Tule Lake, Topaz, Poston, Gila River, Minidoka, Heart Mountain, Granada, Jerome, Rohwer. Les camps de l'Amérique. Dans le jour des tués, la population s'amassent, les glacières saturées dans les parcs, dans les sites ou entre eux, chez l'un, là, dans ce soleil de Californie où nous dépassons les vestiges où certains ont eu la chance de ne pas mourir, ayant traversé la guerre, parqués dans des baraquements de bois, à s'occuper de leurs jardins sous les miradors de l'armée américaine.


Nous passons par dessus l'aqueduc de LA qui longera un temps la 395. George Creek, Bairs Creek, North Forth Bairs Creek, Shepherd Creek, toutes à sec, à peine distinguées, voilées dans les crevasses, veinures évaporées des anges assoiffés de Venice, Beverly ou Downtown. On imagine pas que la sécheresse sera encore pire l'année suivante. Je serais bien allé pêcher la truite, par là-haut, dans les minces goulets, entre la rocaille, comme Richard. Ou avec lui. Mais même s'il ne s'était pas tiré une balle dans la tête, il serait probablement mort quand même à l'heure actuelle. Une autre Californie. La Black Mountain tombe sur Independance vomissant la bannière étoilée à chaque fronton, rivalisant en priape les mâts les plus hauts, les étandarts les plus tendus dans le vent pâle du matin. On transperce la ville. Je prends des yeux la mémoire en érection, lorgne dans les jardins. Les parallèles à la route principale portent des noms de femmes, Lily, Susan, Mary et Chevron, Shell, Subway. Putain... Naître et vivre et mourir là.


Des tapis de buissons blafardent du vert le long de la route, rapidement ensevelis et dépassés par l'ocre et la terre et la terre de pierre et la rocaille se perdant dans la nuance de tous les bruns et la grisaille des bruns. Le ciel est évident. Ma mère va beaucoup mieux. La perspective est douce. Nous n'en avons que pour deux heures, deux heures et demi aujourd'hui et sans se presser. On aimerait que le ciel s'étale sur le sol et y ondule un peu, on le voudrait gisant et offert, lent et calme. Je me retourne sur le siège du mort pour inverser le monde. Le ciel est un lit de terre et la terre un bain pur. Je remets le monde en place et j'allume la radio. Je tombe sur une prédication. On m'explique tout d'un monde si clair et évident, un monde de ciel et de lac. On m'asservit un monde alors que moi j'aimerais juste l'assouvir sans rien foutre. Des tronçons de route flottent comme des nappes de pétrole rectilignes.Je change de programme. Les nouvelles. On dirait que le monde va par là et par là et par là.






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