4.09.2016

Haïku de route-125/ Le vide














Tout est beau comme si tout était neuf. Men/Women, les toilettes sont un joli chalet enserré de deux colonnes en pierres taillées, du granit peut-être, je n'y connais rien. Rien ne traîne, rien ne gâche le sol de pierres de tailles. Les gradins miniatures du théâtre. Des gens assis. Je vais vite pisser pendant que ma mère m'attend sur le muret. J'ai la belle vie. On est là. Les toilettes sont propres. Elles ne sentent même pas, malgré la foule. J'ai la belle vie. Elle traverse dans la route, elle traverse par la route, elle marche et monte les chutes d'eau, elle respire dans le panorama qui s'affale devant nos yeux, elle regarde dans les yeux le vide qui s'ouvre. On a pris le chemin qui sinue vers le point de vue. Tout est beau et tout semble neuf et tout est bien mis et tout est bien propre et les gens marchent tous au même rythme. J'ai l'impression que des milliers d'heures se sont écoulées depuis qu'on a quitté Lee Vinning, depuis qu'on rencontré ce type qui avait vu les Doors avant qu'il ne soit connu. Des milliers d'heures et ce soleil qui semble ne pas vouloir descendre, qui semble ne pas vouloir chuter, qu'on approche dans la pente douce du chemin si bien balisé, ce soleil qui veut rester et nous garder et nous montrer en nous laissant nous arrêter tant et tant le long des routes si parfaites du parc du Yosemite. Et si demain serait un jour fatigué et bas, un jour gras de burger, il pliera dans l'esprit sous les falaises lisses du Half Dome et de toutes les Falls.


Alors c'est là. La plus belle vue des Etats-Unis pour la jolie Belge de la berge. On descend quelques marches entre quelques Chinois. Le muret est ridicule sur l'à-pic qui s'effondre droit sur Curry village 980m plus bas. Je brasse tous les monts, toutes les falaises, je tends vers les chutes d'eau qui balaient en strilles mouvantes sur l'à-plat gris des falaises et le vert globale des cîmes léchant la vallée. La Merced est un serpent timide que je pince des doigts, une veine que j'arthrose et le vide me dit vient. J'ai une saloperie de vertige. Je n'ai pas peur. Je suis attiré. Amoureusement attiré. Sexuellement attiré. Le vide c'est l'hégérie, la grande salope intégrale, la classe douce, l'oeil pris, dense, le regard plein, triste, morne, ivre de joie, la rieuse, la chieuse, la reine souillée, la mère parfaite, l'amante et l'aimante, le vide c'est l'urgence et l'impossible, la perfection et l'intouchable, la plus haute caste et la plus basse, la distance et l'impossible, tout l'absolu des premières érections d'adolescent et ce pauvre muret qu'un gamin de trois ans pourrait embrasser et glisser, je dois le tenir de la main et m'approcher lentement et prudemment. Combien de fois j'aurais pu sauter? Même pas pour mourir, même pas par désespoir, tristesse, abandon, même pas par amour de la mort, même pas par dégoût, non, juste par attirance, juste par séduction, même pas par amour, juste pour plonger quelques secondes dans la vie parfaite. Le vide c'est le tout. C'est avant moi et après moi. C'est l'autour et le dedans. C'est le là et tous les maintenants et le chant silencieux de l'univers, du monde, des atomes et de ma tête.


Je demande à un touriste de me prendre en photo devant le paysage. Je me demande si j'ai déjà fait ça une fois dans ma vie. J'entre dans la meute. Je fais comme la meute. Je marche au pas de la meute. J'ajuste ma belle casquette Bagdad et j'essaye de sourire, sans dent, dans les poils qui poussent dans l'Amérique. Il en prend deux, pour être sûr et lorsqu'il s'approche pour me le rendre, il rate la marche. Il y a alors un temps de vide entre sa main et la mienne et la chute derrière où mon appareil se retrouve devant quatre choix; Son réflexe, mon réflexe, le sol ou le Curry Village 980 mètre plus bas. Il retire ses mains instinctivement et les ramène à son visage. Ce sera pas lui alors. Je le récupère juste au-dessus du muret, calmement avant que mes nerfs descendent. Il se confond en excuse, en multipliant les "sorry". Je me confonds en "it's nothing". On se confond un moment et puis je rejoins ma mère un peu plus loin qui n'a rien vu. "C'est vrai que c'est impressionnant quand même". Oui, c'est vrai. On reste encore, côte-à-côte à embrasser le paysage, les yeux jonglant entre le ciel dégagé, les falaises tranchées, les chutes et le tapis de pins. Elle ne veut pas que je m'approche trop. Je veux m'approcher trop. Elle a peur. Mon père aussi avait le vertige. Très fort, très intense. Il n'aimait pas traverser le barrage d'Emosson. Je suis comme lui. Presque comme lui. Moi, je veux m'approcher, je veux sentir le désir, l'attraction, me sentir aspirer. Mais pour ne pas trop foutre les boules à ma mère je ne m'approche qu'un epu. Je ne me penche pas. Je ne m'assieds pas sur le rebord. Et je crois que j'ai bien fait.











































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