4.16.2016

Haïku de route-126/ Glacier Point













Un va-et-vient sans fin. Les hommes et les femmes en short, en pantalon court, un balais de muscles et de varices, de chairs vives, blanches ou rouges ou hâlées, des ombres de conversations sur le silence plein de la vallée, la susurre au loin des deux chutes et ma mère qui s'éloigne. Je la prends en photo. Je la prends souvent dans ce voyage, comme je l'ai prise à Kangerlussuaq, emmitouflée devant la banquise bleue ivre. Je ne me rappelle pas. Je ne me rappelle pas bien. Je n'ai jamais réussi à avoir le film, à peine des bribes, des flashs comme un son sourd de ruines salées qui remontent de mon cortex et coulent et piquent les cellules de mon hippocampe. Je ne sais pas comment on fait pour se souvenir, sur quelle chaîne passe notre vie. Je prends des temps fixes d'elle sur le vide sous lequel gravite les pins verts, les creux de sol chauve et le granit tranché du Half Dome. J'étais un enfant blond, presque blanc. Maintenant je fonce. J'ai laissé mes cheveux fins en bol pour les longueur de l'âge bête puis j'ai tranché des bribes, tranché des moitiés puis j'ai tout rasé. Mes cheveux sont mes moments de moi. Je ne sais pas quand ils ont commencé à perdre leur lumière, à brunir. Probablement quand le monde à commencer à s'ouvrir en deux, à se salir, quand la nuit des grands est venue se répandre sur les jolis jours avec pinpin.


Mais j'ai changé. J'ai souvent changé. j'ai d'abord subi, puis j'ai repris, dans les cheveux, le contrôle de mon chaos, puis dans mes cheveux en les tondant, l'ordre à mettre dans mon chaos. J'ai pris le feu, il m'a rongé les bras et les paupières, il rugissait par plaques mouvantes, la techtonique des émotions, tout le sous-monde, l'arrière-monde, balant sur mes peaux à arracher et à suinter. C'était le feu de la glace, c'est si chaud sous l'eau des pôles. Je lui en ai fait des cheveux blancs à ma mère, je lui ai bien rongé les nerfs. J'espère qu'elle est plus tranquille là, en se frayant un passage entre les shorts et les cuisses, entre les vies fits et gorgées et les vies grasses des rêves saturés de cholestérol. J'ai des fissures fragiles encore, mais elle aussi, je tiens ça de son père à elle, je crois, des fissures qui sépare le temps traîné de l'enfance, le temps sans félure, ce temps où tout se résoud dans les mots et les gestes des grands et ce temps qui dégringole, ce temps lourd des grands où les questions restent les mêmes mais où l'on doit répondre aux petits avec des mots et des gestes, ce temps où l'on doit porter les plaintes, les peurs et les cris chauds, loin, très loin, vers les zones froides, les zones des terreurs gelées. Devenir grand c'est être dans la nuit, vivre dans la nuit, marcher dans les nuits et pleuvoir de lumière sur les nuits autour, sur les nuits des autres. Le monde danse des chants fatigués, danse des silences et des cris sans réponse. Il faut être le chlore de toutes les piscines où le monde se noit.


Ma mère m'a toujours bien conduit, je crois. Et mon père aussi. Ils m'ont beaucoup laissé. Et ils m'ont beaucoup fait confiance. On s'extrait de la masse, elle aussi est une perspective, la perspective vibrante dans ses pas obèses, les pas obèse de l'Amérique et des songes morts-nés de ses artères bouchées. On croise trois moines bouddhistes, en orange, lent et souriant, une appareil photo à la main, des montres au poignets. Dans quel temps vivent-ils? J'aimerais tomber de compassion sur la meute, mais j'ai juste envie d'une bière fraîche. Sur le rebord plus large, face au théâtre, je bois un peu d'eau en imaginant que c'est une Lite et je regarde ma mère qui parle avec un écureuil. Le soleil darne sur le panorama et s'effondre ses photons dans moi et dans le monde. Tous ces milliards, ces milliards de milliards de photons qui m'ont traversé, transpercé et ces millions d'hectolitres d'air que j'ai fendu et que je fendrai, que j'ai ouvert et brisé, pénétré et corrompu. On retourne au parking babillant dans la meute qui babille. Nous sommes comme les touristes, cagné dans la chaîne et en même temps les maillons de cette chaîne, elle-même enchaînée à elle-même et propulsée en boucle dans l'espace fermé des USA. La Ford est à l'ombre. Un bus s'apprète à partir, un autre termine la côte. On se dépêche pour ne pas avoir à lui traîner le cul dans la demi-heure de descente.












































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