4.20.2016

Haïku de route-127/ Molecule of memories (Wawona Road)




















On coupe le bus. Et la descente est toute ouverte. Un temps glâné sur un soleil suffisant, la route, même dans une Ford louée avec ta mère, te préserve de ces aujourd'hui qui ne sont que des accumulations d'autres hier. On ne peut mûrir que comme ça. Les cases sont des mouroirs où les mêmes se rejoignent, se tassent, se marbrent et terrorisent tous les demains, même si de drôle de ciels inconnus n'ont pas grand chose à raconter qu'un courrier nébuleux vers la terre auquel les ruminants répondent en pétant. Là il y a du vrai filé et de la vie ample, la fenêtre ouverte dans l'air qui descend et frotte dans les poils les demains qui s'en foutent un peu et les hiers déjà vagues, déjà fait. Et tous ces demains, ces demains encore avec des fossettes réjouies, des mini-shorts et du fiel fermé et ferré dans l'ennui, des histoires hors de l'histoire, plus très fraîches qu'on trimballe, les yeux mi-clos entre deux paroles le long des points gras sur la carte. Je devrais me couper les ongles. Ils sont trop longs. Ils me râclent la peau quand je la gratte et gardent la crasse. Un temps je m'étais dit qu'ils m'aidaient en me saignant et me saignaient pour me faire respirer, qu'ils me décapaient pour me rénover et que cette crasse, c'était juste le monde à garder un peu dans les creux, traîner en amas noirâtres ce que le monde abreuvait.


On redescend la même route, sans bus, ni car, ni traînant, trente minutes à peine jusqu'au carrefour où j'ai pissé. On suit Wawona Rd pour Fresno, la fin des pins et la fin de l'air d'en haut, la plaine et la ville. Je suis curieux. On est curieux. Le réveil au lac, la tranchée d'altitude et le retour à la civilisation de l'essence et du beefburger. Sur la gauche, on pourrait prendre Chilnualna Rd pour Wawona North et South, les lodge entre les arbres, post office et station Chevron. Mais c'est fait. On la laisse pour les autres, pour nos autres fois parce que toujours, qui sait? On a soif. On a un peu faim. On verra si dans la coulée, il n'y a pas un petit truc avant de sortir du parc et d'entamer la plaine. Toujours des boucles et des lacets. On parle d'Antoine, un peu, de Finhaut, des routes, de nous, de moi, d'elle. Elle retrouve son père. Elle me dit qu'elle me racontera quand elle aura bu un truc, qu'elle racontera des voyages d'eux tous, enfant. C'est rare qu'elle parle. En général on est dans le silence et brusquement, parfois, elle jaillit. Alors il faut tout prendre. Il faut rien gâter, rien gâcher des mots et essayer d'y mettre des images qui ne soit pas en noir et blanc et traverser les pièces et la maison d'Aigle et le chalet et reprendre les photos sur les cheminées et les murs et mettre dans les images les images des photos et couler dans la route, la fenêtre ouverte, un des films de ma mère.


Si je n'ai pas de film de moi, c'est peut-être parce que je n'ai jamais rien su fixer, que je n'ai jamais réussi à m'arrêter pour penser, que rien ne s'est jamais arrêté dans ma pensée pour se laisser cerner, se laisser gratter et ronger, se laisser tondre lentement et défoncer au pic et à la pioche, râcler et creuser pour être jailli et canalisé, jalonné et borné et clarifié. Tout à toujours tout traverser. Tout m'a toujours traversé et les idées s'aggripaient par hasard en postillon devant mes yeux, surgissaient de la glâne paresseuse et errante, incessante de mon inconscient, des évidences toujours par bribes, des séquelles de pensées, des pluies urgentes dans les mots. Je ne sais rien fixer, fleuves couchés, fleuves debouts, souterrains, asséchés ou en crue, mes souvenirs ne sont que des saccades de micro-séquences. C'est terrifiant de ne rien se rappeler vraiment, de ne pas avoir de mots ou de phrases, pas de sons, pas de réponses, pas même le souvenir de questions. terrifiant de ne pas savoir comment on s'est vécu vraiment et de réaliser que nos liens, ce qui nous nous accroche et qui nous garde ne sont faits que de souvenirs muets, de souvenirs absents, que ce qui nous serre et nous tend à nous n'est fondé que sur des traînées d'impressions. Nous sommes des marins à l'arrière, sûrs de l'étrave disparue en suivant des yeux celle qui disparaît. Nous devons être persuadés de l'existence de la trace refermée. Des centaines de milliards de cellules meurent et meurent, tout s'efface, notre histoire effacée et pourtant les liens tiennent et durent et pleurent à la mort des amis, à la mort des proches et rient des joies des retrouvailles. J'aimerais voir la forme de la molécule du lien, j'aimerais voir sa structure, le mouvement, les résidences des atomes qui nous gardent à l'amour des nôtres.






























































































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