6.15.2016

Haïku de route/ Interlude










Tu sais tu aurais adoré ton grand-père.

Elle a commencé comme ça. Moi j'ai presque plus rien dit.

L'Italie ça ne l'a plus plu. Il a detesté son service militaire, je crois que ça a été très dur pour lui. Il était médecin, mais ça tu le sais. Il était malade aussi, comment on appelle ça aujourd'hui...

Bipolaire?

Oui, bipolaire, maniaco-dépressif en fait, enfin, c'est comme cela qu'on diagnostiquait à l'époque. Il a été interné dans un hôpital, près de Neuchâtel. C'est là qu'il a rencontré maman, elle était infirmière, elle s'occupait entre autre de lui et ils se plaisaient bien. Alors elle a marié cet homme malade. J'ai adoré mon père. Il marchait beaucoup, comme toi, il se balançait sur ses jambes, comme un pendule. Je t'avais déjà raconté quand il nous avait tous embrigader un après-midi pour aller dire bonjour à Mme xxx? Ca ça avait été quelque chose. J'étais toute petite mais je m'en rappelle comme si c'était hier... Il devait être vers 16h et tout d'un coup, mais c'était comme ça, des lubies dans ses phases... bien.. disons.. Alors on était évidemment au chalet à cette époque là, il nous prend tous et décide d'aller dire bonjour à Mme xxx, "c'est à 20 minutes, pas de problème!" Et nous voilà tous embarquer à la sortie de la sieste dans la forêt.. 20 minutes tu parles, une heure et demi ça nous a pris! Et c'était la nuit qui venait, alors cette pauvre Alice qui avaient déjà 7 gamins elle a dû tous nous loger et on a passé la nuit là. C'était pas un mauvais souvenir, au contraire.

Alice?

Oui, son mari est mort, comme ça, à 40 ans, foudroyé et elle a été obligée de tenir le bistrot toute seule et 7 gamins je te rappelle.. Ensuite elle a repris des études pour être institutrice.. Il faut vraiment aimer les enfants et ce soir-là qui accueille tout le monde dans la folie d'un homme et la montagne. Là je te parle des années 40, fin des années 40, après la guerre. Ton grand-père il se levait à 6h le matin et il descendait à Finhaut à pied bien sûr pour aller à la messe et puis après la messe, il allait se faire inviter pour le petit-déjeuner chez les gens, comme ça, c'était son habitude et il exerçait encore à cette époque, il était toujours médecin avant que le village ne le juge plus capable de pratiquer. Là ça a été terrible. On a tous dû empaqueter les affaires et on est redescendu un jour, comme ça à Aigle. On a été accueilli par les Birbaum, par madame surtout, mais c'était elle qui tenait la maison. Mme Birbaum, la femme peintre qui a peint le tableau que tu aimes chez moi avec les genêts jaunes. C'était une femme extraordinaire, un peu sorcière. Après l'école j'allais souvent chez elle. Elle habitait une vieille maison avec toilettes dans le jardin. Elle fumait, ne mangeait que des pâtes et faisait des patiences avec des cartes. Elle aimait aussi beaucoup mon père, qui allait souvent chez elle ,même dans ses moments les plus sombres. Alors elle l'aspergeait avec de l'eau bénite, disant qu'il était possédé du démon. A part ça elle était un peu cougar. Elle recevait des jeunes hommes chez elle. Ce jour là, il ne s'agissait pas d aller frapper à sa porte! Et puis avec elle on a fait des balades partout autour d'Aigle. Elle prenait toujours avec elle un goûter, choc et pommes, et elle nous racontait des histoires insensées de sa propre enfance. Papa, à cette époque ne travaillait plus, c'était maman qui supportait le poids pour toute la famille, il passait de ses phases dépressives où il lui arrivait de rester 24 heures sur 24 couché à ses phases maniaques où il marchait dans les rues d'Aigle ou tournait autour de la table de la cuisine en nous disant qu'on était tous damné. Et les vacances à Biarritz! Je t'avais raconté ça? On est partis en vacances à Biarritz, c était peu de temps après la fin de la guerre, en 1948 je crois. Comme on était pauvre, on a pris le train en 3eme classe, puis on a réservé dans un hôtel pourri à Biarritz. Tu peux imaginer, en 48, on venait de sortir de la guerre. C'est simple on est tous tombés malades ou accidentés. Michel se prenait les doigts dans les portes en suivant maman à la trace, de plus il avait mal aux yeux, ayant regardé par la fenêtre du train à vapeur. Françoise avait très mal aux yeux aussi, elle a dû consulter. Mon père est tombé en dépression, une fois de plus. Ma mère a chopé des punaises dans l hôtel pourri et moi, je me suis pris les pieds dans une roue de vélo, donc hôpital, pourri aussi. Alors on a décidé d'aller tous à Lourdes, prier la Ste Vierge pour nos malheurs. Mais comme personne n'a osé se plonger dans la source bénite, on n'a pas été guéris. Voilà, nos premières vacances en famille à l'étranger.









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