5.04.2015

Haïku de route- 54/ Keeler on the Road






Owens Lake achève la mort. Et la 190 devient la 136. Je l'avais repéré sur la carte. Une fin et une ouverture, un souvenir d'eau et le vert qui s'étale sur notre gauche, on y est maman, on y est presque. Des collines ou des tertres et des montagnes au fond. Une autre pression et depuis des miles ces gravats de nuages qui babinent le ciel et s'y mettent en montagnes d'eau obèses. On rêverait de pluie. On rêverait que le ciel crache et tombe. On roule vers l'ouest, quittant la mort par la mort du jour et le pare-brise cuit. Je regarde ce qui était la vie, assêché par l'aqueduc qui devait alimenter LA. Un trou de mémoire depuis 1913 pour les nécessités du rêve, le sacrifice en lointaine périphérie. L'eau venait depuis la vallée de Owen avant d'être détournée pour nourrir les vergers et les canalisations des anges. Je repense à Chinatown. La vie semble n'être rien sans faire, mais tout faire élimine, efface, surmonte, sacrifie. Et ce monde qui pleure en courant à mettre des jalons et des balises de pierres et de bétons et des bornes en textes, de lois et de serments. Alors que tout meut et glisse, que tout mue et s'échappe et qu'on se cogne à être dans du devenir.


La mort s'achève en s'ouvrant sans eau. Drôle de mort. Drôle de vie dans ce compté d'Inyio. On croise une autre 190 qui est peut-être celle que l'on deviendrait si on bifurquait à angle droit sur la gauche. Plus loin, Sulfate Rd qui mène à une sorte de complexe ou une usine de quelque chose. Le parking est encore plein. Un chemin de terre qui part vers les montagnes pour s'arrêter dans rien. Ou plutôt vers un ancien quelque part. Ces maisons. Ces rues. Cerro Gordo Street, Maud Street, Malone Street, Railroad Avenue, Laws Avenue, des rappels, un passé stagné, une démographie anémiée. Ces maisons-mirages, ce petit agglutinement fait croire à ma mère que l'on y est, mais ce n'est encore que Keeler. Je dois la décevoir et l'encourager, une quinzaine de miles, tout au plus, là-bas, tout droit. Ici c'est 3,4 Km2 de démographie zéro. Un maquillage blanc, 6 Latinos. Nous nous sommes élevés. Presque à 1100 mètre alors qu'il y a quelques heures, nous étions encore sous la mer. Village de la mine, petit bubon de civilisation éclos du temps de l'eau quand la jetée de Lone pine était devenue inaccessible à cause du tremblement de terre.


On défile encore la route de plus en plus hypnotique. De plus en plus fatiguée. Les paupières des derniers miles. Keeler. 9 mineurs, 1 jeune, une personne entre 25 et 44 ans, 33 entre 45 et 64 et 22 de plus de 65 ans. L'angoisse et l'ennui. Pour 100 femmes-enfants, inexistantes ou ménopausées il y a 120 mâles plus ou moins dominant. Et un jeune. Je pense à lui. Et je répète, on y est, on y est, sans qu'on y soit vraiment, toujours la poussière et la caillasse et la ligne droite de bitume et le jour qui descend. Ca me fascine ces villes-villages qui devaient transpirer le rêve en faisant suer la montagne d'argent, de plomb, de zinc pour disparaître, pour se réduire plus loin, vieillir et retourner à la poussière du lac asséché. On longe un carré de vie rouillée. Swansea. Le rêve de l'eau. Le reste du rêve. La lie chaude du rêve. La lie qui rend aveugle. On file toujours la terre pelée, encadrée de montagnes, cette nature qu'on a pressé comme un furoncle et qui reste encore, sèche et comme infectée. La fatigue. Il y avait un tramway à l'époque. Il devait y avoir des dimanches bien habillés et des grandes fêtes précieuses et des amours dans les bals.


















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