5.28.2015

Haïku de route-59/ Manzanar Camp









Je souris au lion. Je savais que je n'aurais pu prendre qu'un plat. Je soupèse la masse, j'évalue ce qui finira dans la poubelle du motel ou s'oubliera dans notre coffre, paye et retourne nourrir ma mère. Pas un chat à la ronde dans l'entre-monde, des enseignes ouvrent des ventres, des gens se graissent au Subway, j'entre dans le parking. j'ai presque l'impression qu'on est seul. Je frappe à la porte et on s'installe. Je déballe et je connais ma mère. "Mais c'est beaucoup trop pour moi". Pour moi aussi, mais on va faire honneur. Je lui laisse le riz. On mange avec les baguettes. C'est bon. A 7 Miles au nord c'était Manzanar, construit 68 ans après que trois pêcheurs locaux ont atteint le sommet du Mont Whitney le 18 août 1873, à midi. Manzanar c'est une autre Asie américaine, le premier centre de relocation du pays, installé dans le terrain des mines d'argent et la succursale d'Hollywood. Entre Gunga Din avec Cary Grant et West of Pecos avec Robert Mitchum, 36 blocs de baraques de bois entourés de barbelés accueillirent plus de 10'000 japonais natifs de Californie qui, entre autres choses, créèrent de jolis jardins.


Je ne termine pas mon plat. Ma mère non plus. On verra pour le petit-déjeuner, le réveil au chinois froid. J'ouvre l'I-pad et je regarde demain. Je parle des Néerlandais de la piscine du Motel de Barstow à ma mère, ce lac Mono, pas si loin, vers Lee Vinning, au pied du col qu'on veut gravir. Une étape courte. Une journée dans l'air. Elle semble d'accord. Le lac nous manque et, juste, tracer bref. Je réserve et je sors jouer à Candy Crush en fumant une cigarette. J'écris à ma femme. Je ne lui parle pas des Japonais. Juste de la mort traversée. Ils sont au milieu de leur journée. Le petit est encore à l'école. Ici c'est noir et néons. Je fais quelque pas pour regarder la nuit américaine. Cette nuit de ce bled contrit entre les montagnes comme l'ombre exacte de la Californie, son histoire qui s'enterre comme on enterre nos souvenirs avec ces mots qui rêvent nos moi de demain. Plus loin dans l'année je regarderai le Lone Rangers avec le petit et on adorera et je lui dirai qu'il a été tourné ici, comme Star Wars V. Les rues sont vides. La route est vide. Les gens vivent là, entre la montagne et le désert, au milieu des deux pires des solitudes. Une terre à drame. A drame caché et tu et rongeant, lentement comme un tremblement de terre qui monte.


La terre me manque, je vais prendre un bain, tâter les boutons et les promesses de remous. Ma mère est au lit, le livre que je lui ai prêté n'a pas fait long, elle dort à droite, déjà. Je prends celui que j'essaie, qui a l'air si beau et que je n'arrive pas à démarrer. Je stagne aux premières pages, je crois que ce livre n'a rien à faire ici. Je lis peu et mal sur la route. La terre me manque. Et les brindilles. Et l'odeur de la terre. Surtout celle près des eaux. Je ferme la porte de la salle de bain, doucement. La lumière est floue, fatiguée. Je laisse couler l'eau et j'appuie comme un sourd. J'essaie. J'éteins, j'appuie d'abord puis je rallume. Mais rien ne bulle, rien ne remue. La pluie me manque, je laisse la baignoire se remplir par la douche. J'essaie de ne pas trop penser au milliers de corps qui s'y sont étalés, ma peau contre le souvenir de la leur, pores à pores. Je ne crois pas que Mel Gibson s'y soit reposé ou s'y soit saoulé. Des membres de l'équipe peut-être, sûrement. Peut-être des baises d'équipe, baises brutales de tournage, baises de stress et d'ennui. Je me branle sans envie pour me liquéfier dans la réalité et je laisse la pluie chaude tambouriner mon ventre que l'eau grasse finira bien par recouvrir. Les trois pêcheurs s'appelaient Charley Begole, Johnny Lucas, and Al Johnson.




























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