5.20.2015

Haïku de route-57/ Two Feets












Mais la distance c'est penser aux siens. Et la présence, lourde, parfois et toutes ses absences trop présentes. Je sors d'air et de soif. Je laisse ma mère atterrir. Je veux des pas et des regards sur moi, l'étranger, des jugements de rue et des yeux qui lisent faux et une bière quelque part dans une zone brute. Je vais longer la Main pour trouver un truc à manger, à l'emporter si possible, je ne pense pas que ma mère aura le courage de ressortir. J'ai pensé à ma femme dans les silences de la route longue.
Je pense à ma femme dans les rues courtes de ma ville. Je pense à elle dans les absences d'elle. Notre fil est lourd et solide, mais notre fil est ténu, notre fil est une toile qui recouvre à peu près toute la terre. Je remonte vers la Mort sans quitter la Main. J'ai traversé pour marcher encore un peu du côté du désert, le soleil descend derrière les neiges. J'aimerais un renard, là, qui traverserait dans une rue parallèle et le tout premier sourire de ma femme, de ce passage noir de la cambre et la nuit qui n'éclairait qu'elle. Je l'aimerais là et pas seulement dans ma tête qui laisse faire les jambes.


Je me fais aborder par une fin de quarantaine pas aussi grasse que celles de LA, ni aussi amochée que celles de Barstow. Je dois avoir l'air un peu largué, un peu parti ou sympathique ou doucement ouvert. Ou alors j'ai le pas trop lent et mes jambes qui se rythment dans ma tête. Elle a la voix chaleureuse, un sourire permanent, un accent à comprendre au mieux les deux tiers. Elle n'est définitivement pas belle, mais c'est une vie humaine dans la joie de l'autre. Je lui dit que je voyage avec ma mère, qu'on vient de traverser la Vallée de la Mort, qu'elle est claquée dans le Motel et qu'il faudrait que je lui ramène de la bouffe. Je lui dit aussi que je crève de soif. Elle m'indique la rue du doigt, de notre côté et énumère les possibles, Tacos, Chinois, Burger, Burger, Tacos, le supermarché pas loin, de l'autre côté de la rue. Je redis ma soif. Elle termine son verre et on écrase nos cigarettes. J'entre dans le Double L. On s'installe au bar. Un vieux barbus, dense, une fin de vingtaine presque achevée sous les yeux et au-dessus des lèvres et le barman concentré sur la course à Indianapolis. Je commande une bière.



 J'ai oublié le nom de la femme qui m'a abordée. J'oublie tous les noms, toujours. Cinq minutes après que me les a dit en général. Les visages c'est mieux, ils ont tendance à rester. Elle résume notre conversation, me présente. Le chinois a l'air bien. Je n'ai pas de blague à faire sur la voiture qui nous a traînés sur le col. Le chinois ça ira très bien. Je regarde la folie de tôles fusant qui visse l'arêne et le regard de la foule, les ailes qui se frôlent comme les étourneaux du ciel de Pepi, le favori, bloqué au pit-stop filmé à voir brûler son avance, les crachins de feu de certains moteurs, la furia qui remonte et redescend dans le bas de la piste, qui surplombe et plonge, des pécheurs en apnée qui s'entre-tuent dans la bonde du circuit. On parle des montagnes, des hauteurs, on compare. Je reprends une bière. Sure? I've got two feets, I take two Beers, otherway et comme je ne sais pas dire boîter, je mime. J'ai réussi à les faire rire. Sans les chinois. Surtout la plus déglinguée qui m'a promis qu'elle la ressortirai.
J'ai fait Lone Pine. Je peux y aller. Après cette bière.












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