7.20.2015

Haïku de route-71/ Deadman Creek













Les raisins sont comme le melon, comme les tomates, la laitue, comme les fruits qu'on a essayé, les fruits quand ils ne sont pas en conserves, gluants et que les cerises goûtent la pêche, les légumes quand ils ne sont pas cuits et assaisonnés avec des herbes en poudre achetées au kilo. Les melons, les tomates, nos raisins, ce n'est que de l'eau à mâcher. La délicatesse californienne c'est savoir savourer l'eau déversée par centaines de milliers de litres dans les cultures, détournée des Creeks, pompée des lacs et des nappes. Cette eau que tout le monde devra rationner l'année prochaine, c'est elle, la joie du fruit, sa richesse, le goût de cet eau si rare. Il faut juste avoir compris ça et tout devient délicieux. On est allé les manger un peu à l'écart, quelques pas derrière les toilettes. On voulait se dégourdir un peu les jambes, fouler un peu de brindilles, donner de l'humus à nos semelles, les changer du bitume et essayer de prendre un peu d'odeur verte, voir si le printemps exhale un peu. Ma mère s'est assise sur un rondin, près d'un reste de feu. J'ai fait quelque pas. Mes jambes sont un peu lourdes. Je suis pas fait pour passer mes journée assis.  En contre-bas, une clairière. Ma mère s'extasie sur la taille des pives. Elles sont vraiment grosses. Nous ne sommes plus très loin de notre prochaine halte. Il n'est pas encore midi. Le sol est sec.


On fume une cigarette devant le parking. Je respire. Je regarde l'aire de repos. On lui a donné la forme d'une goutte. Une goutte d'asphalte et de béton. Ma mère retourne vers le Ford. Un bébé pleure. Un homme ferme les vitres de sa voiture. Il sort, ouvre le coffre, prend une glacière. Je laisse tomber la fin du tabac en frottant mon mégot entre le pouce et l'index. Je vais jeter le filtre à la poubelle. La femme me regarde. Elle a les cheveux propres, tirés en arrière, les lunettes de soleil sur le haut du front. Elle tient son bébé dans les bras. Je la regarde. La dernière cendre fume sur le sol derrière moi. Je lui souris. L'homme est déjà dans le sous-bois. Il a posé la glacière sur une des tables et retourne vers sa voiture, peut-être chercher une deuxième glacière. Je retourne vers la Ford où ma mère m'attend. J'enlève ma chemise avant d'entrer dans la voiture. Un car noir entre dans le parking. Il y a 8 places de stationnement pour les bus. C'est le moment de partir. On a été plutôt bon sur le timing. J'essaye d'imaginer huit cars de touristes débarquant en même temps. Un écoulement d'angoisse me lèche la colonne. J'arrête assez vite d'y penser. Je suis sûr que ma mère fera les mêmes commentaires sur la folie de l'embranchement.


Je me demande où mène la Deadman Cr Rd. Je ne sais pas si nous sommes la cicatrices qui tranche et enterre la Deadman Creek ou si c'est elle la cicatrice qui verdit un plan pelé de chaque côté de la 395. Un homme lui a donné ce nom. Quelqu'un a appelé cette cicatrice "Deadman". Est-ce que le cadavre s'était noyé dans 30 cm d'eau? Est-ce qu'il a été bouffé par une bête? Non.. C'est trop banal comme mort. Il ne devait pas connaître le cadavre. Sinon il l'aurait probablement appelé "Tom's Creek" ou "Jack's Creek", pas "Deadman Creek". Et il ne devait y en avoir qu'un. Il l'aurait mis au pluriel si ça avait été un groupe, une famille, une bande de trappeur. Non. Il ne devait y avoir qu'un seul gars. Peut-être le premier gars que le type qui a nommé cette Creek a croisé après des semaines ou des mois d'errance ou de trappe. Et ce mort a dû le marquer, le marquer suffisamment pour qu'il nomme la Creek ainsi. Des cadavres sur la route, sur les piste, dans les bois ou dans le désert, la mort, la mort brute devait plus être la règle que l'exception à cette époque. Et ce mort devait avoir un truc particulier. Un inconnu. Avec un truc particulier. Un jour, peut-être je reviendrai par là. Je prendrai la Deadman Cr Rd. Et je remonterai la rivière. Peut-être qu'au sommet, il y aura un campement de caravanes. Puis je redescendrai. Je passerai sous la 395 et je la suivrai jusqu'à ce qu'elle se jette dans la Owen's River. C'est un but comme un autre.































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