7.21.2015

Haïku de route-72/ Deadman Summit




 Nous avons atteint le Deadman Summit, 8036 Ft., sans s'arrêter, sans même le voir, sans avoir jamais eu l'impression de monter. C'est comme si les montagnes faisaient la révérence, s'étalaient sous le soleil, comme un père couché dans le sable et ses gosses qui lui grimpent sur le dos pour le cheval d'abord et se retrouver tout en haut quand il se redresse et nous montre le monde depuis le sommet de ses épaules. Pour moi, on pourrait toujours être sous la mer, à -282 Ft. Vu comme ça l'homme mort surplombe la mort elle-même et sa vallée. Nous avons tué la mort en existant. En décidant d'être et de marcher là, sur cette terre et de s'y mettre ensemble. On s'enterre, on se brûle, on laisse nos corps aux bêtes, mais on traîne dans la tête de celui ou celle qui reste, on erre dans les mémoires. Nous avons inventé le temps. Nous avons inventé le passé pour tuer la mort. Et nous marchons sur la terre en la regardant de haut. On croit que c'est chiant de mourir. Que de tous les futurs, c'est le seul inéluctable. Que pourrir et devenir un tas d'os est une fatalité et qu'elle gagne toujours. Mais on pose des pierres, on écrit des textes, on aime, on se fait haïr. Et on traverse. On traverse la vallée et on monte à l'air pur et on contemple. Tant que la totalité de l'humanité se rappellera un nom, juste un nom, même si ce nom c'est "Deadmann" et qu'il a une Creek, une Road et un Summit, alors nous aurons gagné. Sur la nature. La vie. Et ce que certains appellent le Destin.


Obsidian Dome Rd, des creusées sèches, trous ocres et plats entre les amas d'arbres. Le route hésite. La nature se partage. Une butte, un bubon parfait. Je n'ose même plus essayer la radio. Je sais qu'on est presque là. Je me rappelle les Hollandais qui vantaient la beauté étrange du Mono Lake. Il n'était pas prévu sur notre parcours.  Probablement qu'il n'est pas prévu sur le parcours de la plupart des gens qui roulent dans la Californie. Trop à voir. Trop à dire, j'y étais, trop de cartes postales qui doivent venir de certains lieux et pas d'ailleurs. Trop d'attentes de ceux qui ne partent pas, qui partiront plus tard, ailleurs et qui iront là où on doit envoyer des cartes postales. Trop de Tour Eiffel, trop de Pont Charles, trop de Place St Marc, trop d'endroit que je me suis tapé et qui n'avaient strictement rien à m'apporter, qui avaient épuisé ce qu'ils avaient à raconter dans les chiures des pigeons, les flashs des Kodaks et les perches à selfie. Les transhumances sont normales. La masse se masse est c'est normal. C'est moi qui suis pas normal. Je devrais m'y plaire. Je devrais m'y sentir en sécurité. J'aurais dû continué à adorer faire la fête et pas m'emmerder dans ces beuveries sociales où toutes les conversations sont toujours les mêmes, les rapport, toujours les mêmes, les règles, si puissamment implantées qu'elles ont détruit le peu de joie spontanée qu'on aurait pu y trouver. Je me suis fait chier dans les fêtes à partir de 18 ans à peu près. Mais c'est vrai que l'herbe qu'on fumait était assez efficace.


June Lake Junction. Je ne me rappelle plus si on s'y est arrêté. J'ai l'impression qu'on a pris de l'essence quelque part, mais je ne me rappelle plus. Il y a un arrêt de bus pour Reno devant la station Shell. On a l'impression d'avoir repris la plaine. La 395 se scinde pour quelques miles. Il y a de l'eau dans le Grant Lake et des montagnes plus loin pour nous embrasser. Ma mère doit aimer. On est un peu silencieux. La montagne, c'est son enfance. on s'en fout que l'enfance soit heureuse ou pas. Il y a des images et la nature des images qui embrassent et rassurent. On cherche des ailleurs. Mais on ne les cherche vraiment qu'en sachant qu'on rentrera dans nos campagne poisseuses, nos montagnes froides, nos déserts brûlants. Quand on part sans revenir, dégoûté, fatigué simplement, fuyard, tous les paysages croisés sont des paysages d'enfance. Il n'y a que les enfants qui fuguent et qui découvrent des nouveaux royaumes. Nous, on reste éloigné. On reste des grands. On reste foutu des nouveaux royaumes. On ramènera des histoires dans les nôtres. On changera un peu la décoration, on repeindra les murs d'une pièce, peut-être de deux, on mangera différemment quelques temps. Avant de chercher un autre ailleurs qu'on regardera défiler derrière la vitre d'un Ford ou d'une Fiat ou derrière l'écran de nos caméra ou de nos smartphones. Non, il n'y a que les enfants qui fuguent vraiment.






















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