1.09.2016

Haïku de route-106/ Tourista








On l'a vue, elle aussi, en arrivant, derrière les arbres fins et l'ourlet de barrière de bois. On reste un peu avec To-to-Kon oo-lah. Puis on traverse le passage pour piéton vers le chemin balisé de cailloux entre les herbes jaunies et des arbres dont je ne connais pas le nom. Bridalveil Fall est à 0,5 miles. Nous n'irons ni au Curry Village à 5,3 miles, ni à Pine Campground à 5,8 miles. Un flot s'est engagé devant nous et derrière, déjà, un groupe se rassemble. D'autres en reviennent, par petits groupes, un couple, une masse au pas, asiatique. La route, ce sont des sols. Elle se fait par les pieds et par les pneux; les premiers yeux sont sous les plantes, ce sont des yeux d'orteils ou de gomme. Le terrain raconte le territoire et la terre qui rebondit et raconte des talons aux genoux et résonne dans nos disques. Le sang ne bat pas de la même manière sur les pavés ou sur les sols en marbres ou sur le bitume ou sur le sable et les brindilles des 3000 qui conduisaient aux terrasses de pierres lisses ne crissent pas comme celles des 1200 qui nous entrent là dans une forêt plus drue. Oui, les premiers yeux sont des pieds et les seconds sont des joues qui prennent et lisent l'air, dans les descentes de l'humidité ou les craquelées du sec.


Je ne saurais pas dire les âges, je ne me les rappelles jamais, j'aurais tout aussi bien pu avoir 6 ans. Je n'ai jamais su me situer, je suis totalement perdu dans mon histoire. Les âges, ça fait deux avec moi et comment les coudre aux vécus? Toutes les choses, tous les événements et les gens vus, les gens parlés et écoutés et tous ceux et celles qui viennent dans la nuit dans des rêves qui ressemblent au vrai du jour, tout se chevauche et le fil des Avants se pelote en un point gras sur la carte de ma mémoire. Je n'arrives pas à me souvenir de quand j'ai fait quoi, en quelle année le Caire? Berlin? Quand est-ce que je suis allé pour la 6e fois à Prague, la 9e à Venise? En général, si je me force, si je dois me forcer, je me cale sur les coupe du monde de football ou sur les championnats d'Europe. La victoire de la Grèce en mangeant du pigeon au Caire, aucun tournoi dans l'hiver de Prinzlauerberg. Rien ne reste. Mais je sais que j'étais petit et c'était souvent dans le même été et plusieurs été de suite. Je remontais l'escalier de pierre et je faisais bien attention en traversant la route que je remontait un peu vers le chemin de terre qui mène toujours au pré des Eclaireurs avant que la commune ne l'aménage pour les picnics. Ensuite il fallait crapahuter un peu entre les rochers, sur les brindilles et prendre le sentier entre les myrtillers et les rhododendrons, par le tremplin de pierres dans les sapins et la coulée de roches et une autre petite montée dans le sentier resserré qui tombait sur un pré et le promontoire avec la mousse douce d'été et enfin, j'arrivais au torrent.


Les touristes rameutent d'un terrain gagné sur les choses où tout est tellement humain que s'en est devenu inhumain. La végétation sent la sueur qui sent les parfums et les remugles des mauvaises bouffes de la veille. La terre du sentier est si tassée qu'on croirait marcher sur un autre bitume. Mais j'ai beau dire, on a beau critiquer avec ma mère, elle, toujours à haute-voix, toujours fort, moi toujours lache, nos aigreurs sont faciles et même si elles sont vécues dans nos 10 mètres d'intestin, ça ne reste qu'une pause, une posture parce que je ne suis pas mieux, parce que nous ne sommes pas mieux. Nous sommes là comme eux tous, à marcher vers et nous en reviendrons pour repartir vers d'autre point dans le fond de la vallée. J'utilise la nature pour décrire les hommes et les choses des hommes pour mes racontées de la nature. C'est parce que l'on a faim. Parce que tous, nous avons toujours eu faim, faim de l'autour, faim du monde et des autres, faim de nous-mêmes, au plus profond des nous, des vous, des toi et des moi et nous n'avons jamais su faire quoi que ce soit d'autre. Les torrents n'en ont rien à foutre des obstacles, des troncs arrachés, couché dans les lits, bloqués par les roches dégringolées, rien à foutre de mes pieds d'enfants et rien à foutre, là, sur le chemin balisé qui nous mène à Brideveil Fall, où la boue des torrents de touristes nous rue, meuglant entre eux, sans nous voir, sans nous calculer, sans un geste, sans un écart, alors c'est nous qui nous nous écartons et nous collons à la barrière en attendant que la voie se libère.




































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