1.23.2016

Haïku de route-109/ Bridalveil Fall
















Mais pour l'instant, ça grimpe et dans les premiers mètres, c'est la cohue, on ferait presque la queue. Les prudents et les émerveillés, le temps de toutes les images, le voile et demi-tour pour être sur le voile. Des filets multiples, tout lents, des flaques alors, des sillons déjà, qui deviennent rivière en se rejoignant. Ce qui est tombé et qui peut se reposer en descendant vers le coeur de la vallée. Les pieds dans l'eau un peu, sur la roche surtout, sèche encore. Je suis un des seuls, le seul je crois à monter pieds nus. Les gens gardent leurs pompes et se gardent de les mettre dans l'eau. Tout ça complique la grimpée, les pousse au détour, à rebrousser ou les arrête tout simplement. On les voit alors qui cherchent un passage, qui regarde à gauche, à droite, on les voit hésitant, se retourner vers ceux qui sont restés amassés au point de vue, puis on les voit alors, se résigner et se retourner vers la chute et sourire et accepter que ce sera là, que c'est là et que c'est comme ça et qu'il faut sourire surtout, sourire pour marquer l'acceptation, pour avouer les bras baissés en se tenant bien droit pour quand dire que c'est un choix, qu'on s'est arrêté parce qu'on le voulait et pas parce qu'on ne pouvait pas plus. Ce sont toutes les grimpes du monde dans ces arrêts sur image, toutes les grimpes renoncées, tout ce haut qu'on laisse en bas, les jolies pentes qu'on abrège, juste parce qu'on a décidé de garder ses chaussures.


Lorsqu'on a la veine, on la creuse jusqu'au bout, on met les mains sur les blocs lisses et secs et les gouttes qui rebondissent, on les prends et on ouvre la bouche pour les prendre encore parce qu'elles ont glissé à 16 km de là, parce que du ciel, elles se sont mangés dans les fentes de roche pour sortir à Ostrander Lake et couler pour chuter d'un autre ciel, de 189 mètres et rebondir sur ma joue avant d'aller se calmer plus bas, derrière moi maintenant, là où ma mère m'attend et me voit encore le sac de bouffe dans une main et mes pompes dans l'autre. En coupant par l'eau, je dépasse pas mal de gens. Certains montent en peine mais les grappes restent réjouies, chacun sa trace. Dans le bruit d'eau, on s'entend à peine, quelques cris, quelques exclamations, des rires, des gorges pleines, une joie déployée, une concrétude de la joie, des enfants multipliés, nous sommes des enfants cherchant la bonne voie, bien appliqués même si certains dérapent, stagnent, retournent ou contournent, s'arrêtent et se contentent et ce couple qui s'embrasse, là, en haut d'un bloc, dans le soleil, la chute et les bassins d'eau claire derrière les gros blocs du premier étage. Mes pieds sont mes yeux. Mes pieds sont d'autres mains, je tente à droite, derrière le bloc, on ne voit pas la suite. Les blocs secs se mouillent, la pierre devient noir d'eau, elle ruisselle. Les pierres lisses et les arêtes, les lames aiguisées par les temps de la chute, les cailloux sous les pieds, les caillasses dures, pointues entre les galets doux.


A droite ça foire. Du sommet du rocher, c'est deux mètres, deux mètres cinquante et la végétation, trop drue à gauche pour contourner. Mais je vois la voie. Je redescends un peu, je rejoint le grand bloc que je longe dans l'eau au mollet. Le froid fouette mes varices. Je les sens bienheureuses. Je contourne le rocher. Un père un peu gras et ses deux fils me suivent. C'est là qu'on passe. Il va falloir un peu tirer sur les bras dans des prises trempes, mais ça va. Les rochers sont secs mais plus sombres qu'en bas. La lumière pleut sur la cascade. J'ai l'impression d'être parti il y a cinq minutes. Je me retourne pour regarder ceux qui m'ont suivi. On se sourit. Le couple qui s'embrassait est bloqué, là où j'étais. On se regarde. On se sourit. C'est tellement simple qu'on en oublierait de se concentrer. Ce serait à se fendre la nuque. ce serait très con. Je vois que je saigne un peu en bas du molet. Rien de bien grave. Et toute cette belle eau pour nettoyer. Mon cerveau est une mine que je dois creuser. Je dois me transformer en goutte d'eau pour me faufiler en moi, pour me pénétrer, pour voir que cette mine est faite de vide, le vide ahurissant de deux solitudes, celle du noyau et celle de l'électron qui tourne ivre autour de lui. J'aimerais bien être une goutte d'eau pour fondre en moi et m'aimer ces deux solitudes qui n'ont pas d'autre choix que de vivre ensemble, si liées qu'essayer de les séparer, briserait le monde entier. Et de m'aimer de ce vide que je suis, m'aimer doucement et aimer cette solitude de ma mère et aimer nos solitudes et tout ce vide entre nous.
























































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