12.01.2014

Haïku de route-19/ 46548 National Trails Hwy

46548. On sort de l'Aiguille. Le temps, chaud, l'Air Co et cette crinière de peluche mouchetée qui recouvre la peau rauque et cailleuse, minérale du Mojave par Quarry Road et toujours ce bon vieux choix de tous les carrefours. Je crois à gauche, mais on part à droite, je doute et j'hésite. On a pris juste mais on abandonne trop vite, on aurait aimé que ça explose devant nous, on voulait là, on pensait, tout de suite. On revient sur nos pas. C'est comme lorsque j'essaie d'écrire le néerlandais et que je mets deux "a" quand il n'en faut qu'un et l'inverse, une évidence, je regarde souvent à droite lorsque c'est à gauche que ça se passe. En face il y a le Kelly's Market & Truck Stop, un vaste grisâtre et poussièreux pour les camions immenses, quelques voitures garées, pas de numéro, je nous envoie à gauche sur la National Trails Hwy, la 66 d'ici passant sous l'Aiguille à la recherche de Bagdad. Un rien de chaque côté, pas loin de tous les tout des percées d'Amérique, percées craquelées, fendues, prises dans le soleil, route ridée et sèche, paumée de la 15 et du bitume botoxé des portes de Vegas. On trace au rythme des pylônes des pionniers et c'est comme un morse qu'on fait, long sur le lisse et les points sur les crevasses.


On remonte, l'impasse de Martino et des voies de chemins de fer. Ma mère me demande si je suis sûr que c'est là, je ne sais pas, j'attends les premières boîtes aux lettres, des numéros, on digère Peggy. Les touffes du désert, des pistes praticables, toutes courtes vers des habitations basses, amoncellées de ferrailles, de bois, de restes de tout, de l'ancien utile en attente de le redevenir, un îlot à faire quoi le long des voies de communication, planté dans un sol qui n'a rien à donner. On continue encore un peu vers un second îlot de plus d'habitations. Les toits sont gris, semblent bouillant, on dirait de la tôle, une ferraillerie ou une casse sans carcasses, un éparse de voitures, de remorques, de campings-cars déposés là et des bateaux. Des bateaux au sol, dans le désert comme si le déluge allait enfin arriver et que certaines personnes allaient enfin avoir quelque chose à vivre. Un faible grillage et des chiens probablement. On s'arrête en bord de route. Je regarde les numéros. C'était à droite. Mais je suis persuadé que si j'avais pris à droite, Bagdad se serait déplacé à gauche.


On fait demi-tour. C'était plus facile de sortir de LA. On rejoint Kelly. On a tangué les choix. On s'est balancé sur un micro-tronçon de la 66, on en rit maintenant, on sait que c'est bon. Ce filant droit loin et la montagne à droite, cette évidence de l'espace, son arrogance quand il se perd à vue, quand sa joie s'étire dans l'ennui des longues marches où l'on ne voit rien passer, où la route fait du sur place. J'ai marché quelque fois dans la nuit, l'hiver, entre Genève et Rolle, souvent entre Nyon et Rolle, 30km, 15km à arriver à l'aube dans mon lit chez mes parents sans m'être arrêté, décuité de beuverie mais dans l'ivre de la marche quand on serre les poings pour que l'énergie tourne en nous et ne s'enfuie pas vers le lac ou les champs et les yeux rivés au sol pour que la route défile comme un film et s'avance vers le retour. J'ai marché des nuits splendides avec en moi un loin incroyablement dense, crevé et doux. Je regarde ce loin ici, sur la National Trails Hwy avec les 44 qui deviennent 45 et 46200, 300, 400, des pistes auquelles on a donné des noms, Monaco Street, Mini Ranch Row, Caspian Road. Et là, sur la gauche. Bagdad.

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