12.11.2014

Haïku de routes-21/ Calling You

La caravane derrière, je me demande si elle est habitée. Mais je crois qu'ils vivent plutôt dans la maison à droite. Ils ont fait une structure en bois sur laquelle ils ont fixé de la tôle ondulée sur le devant et sur le haut du côté. En bas c'est rigolo. Un béton avec des trous dedans de la taille de cul de bouteilles. Devant c'est de la poussière et un jardin de caillou et tout autour un grillage jusqu'à mes épaules. On avait retrouvé le billet de Pepi avec les indications pour arriver ici chez Peggy mais on s'est perdu quand même. On pense un peu à lui avec ma mère, sa longue route sur la 66 et il s'était assis ici, sur ces bois et il avait eu droit à tous ses Calling You de Bob Telson, chanté par Jevetta Steele et les affiches des marines et tous les mots sur les murs. Je me demande s'il en a laissé un pour ceux de chez nous qui viendraient. Je regarde, marche un peu dans le café. Il y en a beaucoup en français. Il nous a fait des histoires pour venir jusqu'ici ce film. Pepi, il a les plus belles rides que j'ai jamais vu. Je veux les mêmes. celles qui sont faites des dehors la journée, des jardins et de la bise et du lac à la pêche, celles avec beaucoup de grands rires et du vin blanc et des dures tristesses longues et de la vie bien pleine. Pas des rides de citadins, des rides de bureau et de bus entre les crachins de carbones, pas des rides intérieures, pas des rides de béton mais des rides des rêves d'asphaltes la fenêtre ouverte. Pepi, c'est mon ami.


J'achète une casquette pour le petit, toute blanche avec dessus marqué "Bagdad Café". Tous ces gens qui reviennent des Amériques avec des casquettes des Lakers ou des 49 qu'on trouve partout ici ou qu'on commande en voyageant sur google map. Une belle casquette. Ma mère achète un bandana avec des têtes de mort psychédéliques. Le soleil va tomber. Et il va vouloir nous faire mal. Elle est magnifique en le portant quand je la prends en photo devant l'enseigne et les voitures qui se sont arrêtées pour qu'on entende mille fois "Calling you". Des drapeaux du Brésil à l'arrière du troupeau qui freine. La quarantaine des suffisances, le bon argent qui loue la Chopper qui plantera pas et un goût de route sur quelques semaines tout en cuir brûlant, la voix des joies grasses. Calling You quand ils se prennent en photo derrière le bar. Il y a ces moments terrible de l'intime où l'ouvrier apprend qu'il aime le même livre que celui qui l'a viré. Ou l'inverse. C'est la même chose de toute façon.


On laisse le Brésil boire et prendre l'espace. Nous, on va à Barstow. Ici les seuls oiseaux ce sont les corneilles. Elles sont partout. Je repense à Pepi. on avait pris la route, celle du vignoble, on était derrière l'été. On allait tourné une des dernières scènes d'une Journée à l'hôtel Bargagne, un de mes films. Nous venions de passer les dernières maisons avant les côteaux. Brusquement elle était là, noire, un peu frémissante. On s'est arrêté et nous sommes sortis de la voiture. On s'est approché lentement. On voulait pas que ça parte. Le merveilleux il doit prendre son temps pour nous quitter. Ils étaient des centaines. Des centaines. Ils étaient là pour nous, ça n'avait pas de sens sinon. Normalement ils s'attendaient dans les vignes ou sur les lignes à haute tension. Ils n'avaient pas peur. On aurait dit un film, mais gentil. Je n'ai pas eu tout de suite le réflexe de prendre la caméra, mais je crois que c'était assez sain, j'avais encore envie de réalité malgré toutes les images que je mettais entre la vie. Puis, tout d'un coup, ils se sont envolés, rejoints par ceux qui étaient dans les vignes. Et ils ont commencé à déformer l'espace en rythme brisé, rassemblé, un corps fait de corps, tout harmonieux, et c'était noir au-dessus de nous, ça montait haut puis rasait les vignes, ça soufflait. Chacun sans toucher l'autre et ensemble, ils étaient un corps qui se jouait de sa forme et qui respirait, respirait, respirait en volant. Il n'y a pas grand chose de mieux dans la vie que de regarder les étourneaux qui se rassemblent avant de partir et qui causent quelques jours pour trouver le bon vent et choisir le bon chemin avec un ami.






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