4.09.2015

Haïku de route- 50/ Matrice




Une matrice normale. Une mère et son fils, ensemble, sur une route. L'élément déclencheur, c'est le moteur. Une incertitude qui pourrait devenir un risque et qui devient, chez la mère, une angoisse que la migraine augmente et chez le fils, une situation qui ne peut être qu'irréelle. La mère enchaîne les lacets du col, sans forcer sur la pédale d'accélération, un peu résignée dans la douleur et dans un silence matiné d'observations simples et des évidences qu'elle s'est choisie pour avancer encore. Le fils, les yeux dans le manuel, propose sans insister et sans vraiment savoir et dans sa tête, récite des mantras pour prendre pieds à distance sur la réalité. Et les paysages se rochent et s'approchent et la Chine, devant, peine et hésite et dans la fatigue, la splendeur des nuances devient la banalité du même. La beauté peut si facilement devenir si insipide et chiante et si absente ou si inutile. On n'est rien que des yeux et une tête derrière. Ce pauvre type de Saint Ex et son "on ne voit bien qu'avec le coeur", alors qu'on ne voit rien avec le coeur et si on essaye, tout ce que l'on parvient à obtenir, c'est de devenir mauvais à l'autre.


Parfois c'est resserré et parfois on surplombe et il y a tout qui tombe dans la lumière toujours si puissante mais qui se tamise légèrement. Ce serait bien, une fois, de revenir et s'asseoir quelque part, n'importe où sur cette route, et voir, dans la pierre et le sol, les changements de lumière et les variables des roches et comme me disait Pepi, avec le lac où les mouvements sont les mêmes depuis des milliers d'années, mais où les couleurs, les teintes varient et que, si tu restes là, assis, sans bouger, ni changer de place, toute ta vie durant, tu ne verras jamais les mêmes flots. Et que juste ça, ça pourrait suffire. Ou ça devrait même suffire. Les Chinois m'emmerdent. La bière est tiède. Mais la route est belle. Les routes de cols sont belles, elles donnent l'impression d'embrasser la montagne, de pouvoir se caler à cette masse comme à une matrone rassurante, dans chaque léchée de ravin.


On a longé des dunes de vrai sable, des dunes sans caillasse, une géographie sans carte. Le réel en mouvance, ce mirage immédiat qui m'offre un passage sans aucun repère, un là qui sera ailleurs demain. Nous sommes tous des dunes dans nos géographies sociales ou amoureuses ou amicales. On s'aimerait déterminé et éternel, évident et lisible, cartographiable, raccroché et sûr dans un nord que dirait nos voix et nos gestes. Une décense de l'immobile, un texte appris par coeur et seriné pour mettre nos aléatoires, concis et confiné dans nos sphères idéales. On a longé des dunes. Elles sont juste là. Dans ma mémoires, elles sont ainsi, figées, elles sont comme elles étaient, comme toi et toi et toi et toi, comme toutes les histoires qu'on croit pouvoir reprendre parce qu'elles se seraient arrêtées avec nous. On vient de contourner le sommet et les Chinois se sont rabattus dans une cougnure sur la route. Nous, nous continuons dans la pente où le moteur respire un peu.

















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