4.21.2015

Haïku de route- 51/ Hey Joe




Au sommet de la côte, dans les Chinois qui se rabattent c'est une tranche blanche qui s'ouvre dans le bas, dans le flou chaud qui coupe en deux la plaine qui se sombre dans les extrémités et est toute sablée de lumière au centre. On ne sait pas qui est le pont de quoi. Il y a le pont de vie qui est un pont de vie morte, un pont tanné, un pont de sécheresse et de racines assoiffées et un pont d'hommes, un pont d'asphalte, un pont de bitume humble qui rampe à même la terre et qui nous étirera vers Lone Pine, en s'excusant, un pont qui n'a même pas la force de surplomber quoi que ce soit, qui n'est même pas capable de se vouter un peu et de prendre en charge, au sol aride, un peu de vent et y tenter d'y mettre un peu d'ombre. On a peiné pour l'atteindre cette côte et ma mère fatigue. Les yeux ballants, ceux qui ne parlent pas et qui dormiraient mais qui traînent sur la route et appellent les virages et les ravins pour mettre un goût dans l'ennui qui endort tout.


Il y a des familles qui n'ont pas de nom. Je veux dire, qui ont des noms qui ne signifient rien. Des noms comme des cris ou des grognements, des balbutiements, des noms comme des borborygmes, des histoires bégayées, des routes aphones. Nous, les Domahidy, nous sommes gravés dans notre nom, nous sommes des bras qu'on porte comme des ponts, des bras qui nous éloignent, si tendus à s'éloigner qu'ils ne savent plus étreindre, qui se sont tant étendus qu'ils ne parviennent plus à resserrer quoi que ce soit, à se serrer tout simplement. Le pont  qu'on est, qui porte et nous porte et nous a mené à nous répandre et nous disparaître au quatre coins du monde, des ponts de coeur et de souvenirs, des ponts d'ancres, des ponts aveugles. Domahidy. Nom suspendu, ceintre de chair et de mémoire, nom des départs, nom des fuites et des absences, nom de l'entre-deux, nom de l'hésitant, nom de tous les manques, cette route qui trace entre les soleils de cagne et les neiges du Mont Whitney, entre des entres de rien, là, en bas de la côte, c'est ma lignée et ma filiation, ce qui m'est et ce avec quoi je dois faire et composer.


Le voyage c'était pour venir voir oncle Jo, le dernier des trois frères. Trois heures pour le dernier des trois. Je suis encore dans sa maison à boire ce vin rouge de Hongrie, je regarde la route qui descend, je regarde la fatigue de ma mère, je remonte la colline de Redondo comme on amorce la descente hors de la mort. Je casse le biscuit chinois, je revois le sourire, le sourire de notre nom, les banquettes en skaï et la chaleur salée de l'océan sous le ciel enfin dégagé des poumons de LA. C'est pas très important le temps, c'est l'espace qu'on y occupe, la densité qu'on met à être quelque part quelque chose. Je crois que c'est ça être quelqu'un. Les définitions ne veulent rien dire, des arrêts sur image tout au plus, un cadre qui moisit déjà dehors, sous la pluie. Finalement, le verbe "être" ne sert à rien, parce qu'il ne veut rien dire, les zones floues, vagues de l'identité. Mon nom est un axe sur lequel j'oscille et maintenant, la plaine.
















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