2.06.2016

Haïku de route-112/ Breathing out















Tout le décor s'était renversé. Il y avait eu un appel d'air comme un arrêt dans le vague, une langue plus lente avec des signes de lignes claires à laquelle il n'y avait à répondre que par le silence et des gestes respirés, des gestes de nerfs d'asphalte neuf et frais dans une moëlle sans épine, dans une moëlle de tige gorgée de sève de mai après un hiver d'oxygène. Sous la chute ma vie me parlait une langue d'air, ma bouche morte dans toutes les bouches de mes pores, baisant, affamées, les molécules de diazote, de dioxygène, d'argon, de néon, de krypton, de xénon, lapant les molécules de dioxyde de carbone, de méthane, traduisant le souffle des vapeurs d'eau, ce souffle dans les gestes muets qui inspiraient dans la roche pour les expirer, les côtes ouvertes et les rendre au monde. J'expirais là-haut presque deux fois plus d'air que j'en avais inspiré. J'expirais les milliers d'heures de molécules viciées, ces milliards de molécules sales de l'ennui des millions de mondes que j'avais tant désirés. Ce souffle si long que j'avais eu l'impression d'expirer mon ventre, d'expirer ma queue, d'expirer jusqu'à mes jambes, jusqu'à mes pieds endormis dans l'eau froide. Tout aurait dû s'arrêter là. Tout. Moi. Ma mère. Le père gras, ses fils, le couple, la meute et le monde même. Alors la chute aurait pu enfin s'allonger et se reposer. Mais tout a repris. Et j'ai retrouvé ma bouche à moi et mon ennui et mes millions de mondes désirés. Et j'avais froid au pied en face du fleuve debout.


Là, en redescendant le chemin, je n'ai même pas conscience de respirer, je n'entends pas le souffle de ma mère non plus, je ne fais même pas attention à sa poitrine qui doit bien monter et descendre, je ne sens pas vraiment mes jambes, juste mon ventre qui gargouille et qui aurait bien envie que l'on se pose enfin, déballer le cellophane et découvrir nos sandwiches. Le chemin n'est pas très large et ça ne cesse d'aller et de venir. On se frotte dans les croisées. On se frôle. Certains s'écartent, d'autres n'en ont rien à foutre. On s'arrête derrière la lenteur, on traîne derrière la lourdeur. Je regarde le dos de la lenteur lourde, le cul lent et pesant de la femme devant moi. Puis je regarde ma mère et je rigole en-dedans à cause du poid du contraste. Je déteste traîner les pieds, je déteste les musées où l'on ne marche pas vraiment, ça me fatigue comme une journée à la chaîne, sur les lignes de montage de Novartis. On ne parle plus des 5 minutes qui était une heure, c'est laissé derrière, là-haut, au point de vue. Mais je sais bien que c'est aussi laissé en dedans, je la connais ma mère, cette histoire fait déjà partie du voyage, de sa mémoire à elle de Brideveil Fall. J'aurais peut-être dû la forcer à crapahuter avec moi. Les gens me fatiguent, ça n'avance pas et j'ai faim. On arrive au croisement. Les culs lourds prennent à droite, d'où nous sommes arrivés. Je propose à ma mère de prendre à gauche, là où il n'y a personne pour le moment, pas trop loin, juste un peu. Ce serait bien de trouver une table ou juste un banc.


Ah, j'avais oublié le parking, celui que j'avais aperçu quand je me suis réveillé sous la cascade. Au moins je tiens parole, on n'aura pas marché beaucoup. On l'atteint au moment où un car monstrueux, tout brillant de noir, déverse ses deux portes. Il y a des moment comme ça dans la vie où il faut se faire une raison. On ne sera pas tranquille, il n'y aura pas de calme, ni ici, ni derrière, ni avant. C'est bien la peine de venir dans un parc naturel aussi grand. Les rues d'Inglewood au petit matin étaient bien plus apaisées et apaisantes. En Amérique, si tu marches, si tu es un marcheur, ce sont les villes qui t'offrent la paix, les banlieues d'avenues larges ou le bord des routes. Si tu veux la sérénité, cherche l'asphalte et trace-le de tout son long. On regarde quand même s'il n'y aurait pas un espace pic-nic aménagé, la fameuse table ou le fameux banc. Mais on va continuer à se faire une raison. Le car se vide laborieusement, le groupe se forme et se rassemble entre les deux portes, en ban, ballant, certains s'étirent, font trois pas, d'autres balancent d'une jambes à l'autre, certains vérifient dans leurs sacs ou leurs pochettes, n'en sortent rien, les referment, d'autres ajustent les sangles de leurs appareils photo, certains remontent la fermeture éclair de leurs vestes, d'autres les ouvrent, on essuye ses lunettes, on se recoiffe, on met sa casquette ou son bob, on se parle un peu, on rit fort, on tousse, un homme se mouche. On attend le guide quoi.




































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