2.07.2016

Haïku de route-113/ Truth of America








Les brindilles grillent sous nos semelles. La neige, l'eau, la pierre, l'humus, mes pieds, aujourd'hui, en ont vu presque pour deux semaines. J'oubliais la moquette de la chambre du motel. Il n'y a ni clocher, ni muezzin pour me dire l'heure. Juste ma mère. Le soleil est assez haut pour être midi, mais je ne sais pas lire le soleil. C'est bien dommage. La journée est une roche lisse et j'ai l'impression de n'avoir encore rien fichu. C'est vaste? c'est trop vaste. Le parc est bien trop vaste, même en ne suivant que les routes balisées et les points en gras sur la carte, c'est beaucoup trop vaste et tout glisse beaucoup trop vite, ce soir, Fresno, puis demain, ailleurs et les jours suivant, toujours plus loin. Je ne sais pas si je reviendrai ici un jour, je ne sais pas quand, je ne sais pas si je voudrai, je ne sais pas si ce ne sera pas mieux ailleurs et s'il y a un ailleurs, le temps d'aller dans un ailleurs, les sous et si on est encore vivant. Ce que je vois, là, les brindilles qui nous sortent du chemin pour trouver une souche où déballer le cellophane, c'est déjà fini, c'est déjà fait, déjà derrière. Et c'est après qui est déjà là et qu'il nous faut accueillir, auquel ouvrir les bras pour les refermer sur rien avant de les rouvrir à nouveau pour accueillir quelque chose de nouveau. Il n'y a pas d'autre choix au regret que d'être content. Ce n'est pas se résigner, ni se contenter. C'est se satisfaire et s'asseoir et découvrir sous le cellophane ce qui sustente l'Amérique.


On s'est écarté un peu du chemin avant que le bétail s'embranle, dans le sol crépi de cailloux et de brindilles. On a fait quelques mètres sous les pins pour trouver nos deux souches pas trop rèches avec la vue partagée entre les arbres et les voitures et les cars garés sur le parking, en pleine lumière. Nous, sous l'ombre, on déballe enfin nos sandwiches. Je découvre mon thon. La joie des surcouches de cellophane c'est la surprise à 7$ pièce, tout un monde fait pour s'ouvrir à tous les sens, la vue par le nez et le toucher par la bouche. Et même si mon nez n'est pas trop bouché aujourd'hui, il ne voit pas bien l'idée du thon que ma bouche ne distingue pas vraiment non plus. A regarder ma mère, le jambon-gouda semble proposer une expérience similaire. Mes oreilles, elles, sont trop occupées par la marée lente qui cahote vers le point de vue. Alors je le regarde moins ce sandwich qui disparaît assez vite. Je m'attarde plutôt sur les brindilles et les bêtes du sol ou sur ma mère qui mâche, inexpressive son jambon-gouda. Je sors la carte de ma poche. Je montre la boucle Northside/Southside et je sors la deuxième carte qui montre la route vers Fresno, en estimant les distances. Je reprends encore les informations que j'avais glânée dans le guide du routard et ce qui pourrait valoir le coup. Glacier Point en particulier mais ça ferait un détour d'une heure sur une route toute contorsionné. Ma mère semble pas chaude.


C'est fou de se dire que les choses sont censées avoir du goût, que le mélange des choses est censé offrir un mélange de goût et que des choses différentes sont censés avoir des goûts différents et même des textures différentes. Mais peut-être que tout cela n'est pas vrai. Peut-être que l'on nous a fait croire que tout ce qui était différent devait avoir un goût différent et une texture différente. Peut-être qu'en fait, la salade a le même goût que la tomate et le thon que le jambon qui a, lui, le même goût que le fromage. Peut-être que les grandes surfaces, les supermarchés, l'industrie agro-alimentaire en général piquent leurs produits avec des seringues de saveurs pour nous faire acheter plus de trucs alors que la réalité, ce sont ces sandwiches qu'on vient d'avaler, acheter plus haut sur la route, à Crane Flat. Ces vrais sandwiches du parc du Yosemite sont peut-être là pour nous ouvrir les yeux et qu'en fait, tout devrait disparaître des étals pour n'avoir plus qu'un seul produit neutre comme un emballage M-Budget. Sans oublier tout ce vide dans tant de plein. La vérité de l'Amérique, son honnêteté, c'est savoir se satisfaire en se nourrissant d'illusion. On finit de manger et je mets les cellophanes et le PET dans le plastique. La journée glisse vraiment, il est temps de retourner à la Ford et de boucler la boucle.













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