3.03.2016

Haïku de route-123/ Tireness on Wawona Road
















Mais c'est quand bien fait la fatigue. Toutes les fatigues. Celles qui viennent dans la tête quand papa vieillit et que maman dit qu'elle va dormir en haut parce qu'il ronfle et pas parce qu'il sent, celles qui ont trop bu et fumé et qui servent les clients quelques heures après s'être effondré sur un sol quelconque, celles qui écoutent une connasse raconter sa vie pour la prendre plus loin et filer après le café, celles qui sort de l'usine à 22h23 pour reprendre sur les lignes à 13h57, celles qui n'ont rien foutu aujourd'hui ni hier ni rien depuis quelques mois déjà mais ça passera, celles qui font février et qui collent celles de tous les autres de février dans la sueur des métros, celles qui ne reçoivent jamais de mails ou de coups de téléphone et qui sortent à 16h23 pour faire les courses, celles qui ont déjà trop de gosses avec un gosse et celles qui qui marchent main dans la main avec un homme ou une femme qui n'est pas votre homme ou votre femme. C'est bien la fatigue parce qu'elle guide, c'est elle qui mène dans la route et qui caresse doucement le visage pour dire c'est juste là, non... La rue suivante... Voilà... Là et qui ouvre des mots et des yeux qu'on chercherait à contrôler, à maîtriser sinon. Elle nous laisse tout seul, tout nu,elle fait la vie comme elle est, la survie comme elle doit; C'est crevé qu'on pense le mieux. C'est crevé qu'on a toujours pensé le mieux.


Eagle Creek suit nous jusqu'au lisse qu'ils grimpent de leur temps libre. On recoupe la El Capitan Drive et sa plaine jusqu'au dharma de Brideveil qu'on file sans s'arrêter dans la Merced qui reste fidèle à la North Side Drive. Mais on change de nom. On revient à El Portal même si c'est le même asphalte parce qu'il faut bien que tous les noms qui ont servi à faire exister les choses continuent à être quelque chose quelque part. On roule doux, on roule fatigué des hâchures que nous avons déposé sur la journée, on roule sans café dans les pieds encore frais de la Merced et des yeux fatigués, limpides de fatigue des conseils de la jolie Belge de la berge. Le soleil vient de changer d'épaule. Mais tout est lent. Et tout est encore long. On roule ce qu'on à rouler. On revient vers nous. On va vers le haut de la vallée pour la monter encore plus avant de tout tomber vers la plaine et les avenues de Fresno. Je ne plante pas la Portal, on laisse la Big oak pour d'autres voyages. La Merced nous reste fidèle comme toutes les femmes qui aiment et tous les hommes qui aiment, qui aiment vraiment et qui restent et qui accompagnent et qui mettent la main dans la main et qui regardent doucement et soufflent doucement et qui partent plus loin et qui laissent un peu et qui vont aimer plus loin et aimer ailleurs un peu et qui reviennent et qui reviennent toujours. La fidélité, c'est une pensée qui ne s'arrête jamais. Nous, on roule et on s'aime avec ma mère et moi je pense à ma femme et au petit quand on quitte la rivière pour prendre Wawona Road.


Tout reste en chiffre comme si les chiffres n'avaient pas d'histoires, n'avaient pas d'égo, n'avait pas à être ou ne pouvaient être que ce qu'ils étaient comme si le 1 n'avait pas d'autres choix que d'être un 1 et la 140, la 140 alors que cette même traînée de bitume pouvait s'appeler North Side Drive puis El Capitan puis El Portal et Central Yosemite Hwy et je ne sais quoi plus loin. On est dégueulasse avec les chiffres. Il n'y a que les fraudeurs et les escrocs qui ont la douceurs de les faire danser un peu. Je regarde sur la carte la route qu'ou aurait dû prendre pour tendre tout de suite vers Fresno. On aurait été ces noms sur la carte et un même chiffre, longtemps. Comme un salaud j'oublie la Merced dans le tunnel qui nous met de la nuit dans le soleil. Ma tête posée contre l'air qui file et je m'incline dans le jour. C'est à peine rien. Je regarde ma mère. Elle semble fatiguée et heureuse et heureuse dans la fatigue. Mais ce n'est pas la même fatigue que dans la mort ou celle quand papa se pissait dessus. C'est une fatigue douce, c'est une fatigue qui passe les coudes et les lacets de Wawona. Des arbres, des ouvertures entre les arbres, les lunettes de soleil de ma mère, des mots, pas trop, on passe au-dessus de Grouse Creek, Avalanche Creek. Et tout va bien. Ce matin est déjà si loin. C'est si long la vie.








































 

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