10.07.2015

Haïku de route-75/ Hard disk Bug






















 Ce n'est pas ma faute si j'oublie. Les choses, ainsi, voilà, elles glissent. Je ne sais pas comment c'est dans votre tête. Comment ça reste. Comment la vie grave ses sélections. Dans les films, dans les flash back, la mémoire des héros se déroulent. Il y a des couleurs, des formes, des sons, en clair, en net, des suivis et comme dans les livres, tous les dialogues tiennent et restent, à la virgule, au sourcil près, dans les regards, dans les gestes, tous les soupirs, toutes les rides, tous les plis dans toutes les formes de tous les meubles ikea des décors de tous les films. Les gens se souviennent. Ils semblent se souvenir, se lire, gratter, loin en eux, la fine, la précise, l'infime de la lumière sur les fleurs du salon. Tout est beau dans les films, parce que personne ne semble ne rien perdre. Tout est là. Tout est resté. Il n'y a que, parfois, les figures alcooliques dont la caméra vague et floute les images, comme si la booze parvenait à troubler l'avant. Je suis épuisé des films parce qu'ils ne me disent rien de ma vie. Je ne me rappelle de rien. Je me rappelle mal. Et tout ne vient jamais en fleuve comme des images claires et limpides qui couleraient ma vie dans un présent pour hier. Mes souvenirs, ce sont des photos, des moments fixes et figés, sans voix, sans sons, sans odeurs. Je ne sais pas me rappeler. Je suis à Lee Vinning. On est arrivé. On a ouvert nos bagages.


On ne sait pas encore que ce sera la plus jolie chambre du voyage. Deux espaces tout petits, séparés d'une porte qu'on refermera dans la nuit et chacun sa salle de bain. Elle rappelle le chalet, là où grand-papa a poursuivi grand-maman avec une hache. Les oreillers sont un damiers gris à ligne blanche comme une ville américaine, il y en a un deuxième dessous, avec des fleurs aux pétales gris et un rameau rouge. Dans la chambre de ma mère, le cadre est de travers. Nos images représentent un zoom de verdure, un détail d'air respirable. Pour le reste les murs sont nus, sauf les interrupteurs. Je sors mon linge sale tandis que ma mère se couche un peu. les lits sont parfaits. Elle est contente. J'entre sous ma douche, le soleil dehors sur le jardin derrière le motel, je laisserai couler l'eau longtemps sur ma nuque en frottant mes slips avec mes phalanges et nettoyant à mes chemises les cols et les aisselles. Je suspendrai une des chemises et un des slips à un des trois crochets de ma porte, le reste sur la tringle de la douche. Je m'étire. Je ne fais pas d'exercice. Je n'ai pas encore de bras. Toujours ce corps, ce même corps d'os que je marche dans le monde, un tour déjà, peut-être, peut-être même plus.


Nous n'irons pas à Bodie, pêcher la truite. Je le regretterai plus tard. Ce sera une raison de revenir en Californie. Toutes ces creeks gâchées. J'aurais pu être quelques heures un livre que j'ai aimé. J'essaie le lit, mais je ne suis pas fatigué. Je sors. Je m'assieds sur le banc. Un couple s'installe tout au bout, vers la route, dans la chambre qui fait l'angle. Ils doivent être à la retraite, passant Memorial au pied du Yosemite ou en étape vers les neiges de fin de printemps. Un Memorial Day sans enfant, sans petit-enfant. Peut-être qu'ils n'en ont pas. Peut-être qu'un seul, un fils qui est peut-être en Irak ou peut-être mort d'autre chose. Ou une fille qui ne veut plus leur parler. On se salue de la main. Je fume devant le parterre de fleurs, à l'ombre. Le soleil est beau. Il est doux. Il est lent. La journée commence à peine. Le type qui donna son nom à la ville est mort bêtement. Il s'est tiré accidentellement une balle à Aurora dans le Nevada. La ville s'est un temps appelé Lakeview, un nom qui tient la route. Mais il y avait déjà un Lakeview en Californie. Alors pour ouvrir la poste, ils ont dû changé le nom. Ils n'ont pas pris le surnom qu'on lui donnait, "Poverty Flat", ils ont préféré le nom du type qui s'était tiré dessus sans le vouloir. On est parfois obligé de faire des choix. Et on doit parfois en faire avec ce que l'on a. Mais nom de dieu qu'est-ce que j'ai bien pu foutre après cette cigarette?


































  

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