10.09.2015

Haïku de route-76/ Hair-drier in a Bathroom















Derrière l'hôtel, la colline se sépare et tombe entre le fil d'une ancienne rivière sa terre de buisson et les sommets touffés d'arbres. J'ai dû avoir faim. J'ai forcément dû avoir faim. Est-ce que je suis allé à la réception cherché un sandwich? Deux? Est-ce que nous y sommes allés ensemble. Dans les histoires que les gens racontent, rien n'est jamais oublié, tout le monde semble tellement sûr de lui. Moi je ne sais plus l'ordre des choses, l'ordre des images, je devrais les monter comme je veux, je devrais inventer. Je devrais mentir. Je devrais inventer des mensonges plaisants, des mensonges qu'on aurait envie de lire. Je pourrai inventer du sexe avec la jolie fille de la réception ou avec le vieux couple seul. Ou alors de la violence. Ou alors je pourrai mentir les deux dans un montage que nos spectacles adorent. Je pourrai inventer un long et profond dialogue avec ma mère, une dense introspection. Un lavage de vie. Un passé retourné et des crises avec, une centaine de pages plus loin, une réconciliation et dans cette centaine de pages du cul avec la réceptionniste et le vieux couple et du sang de réceptionniste dans la baignoire du vieux couple. Mais je sais que j'avais juste faim et que ma mère faisait une sieste.


Je crois qu'on a décidé d'y aller. Ma mère se réjouit du brownies fait maison, j'ai vu qu'il faisait des sandwichs. Je ne me rappelle pas exactement quelle heure c'était. On devait entrer dans l'après-midi. On a traversé le jardin, je crois que les marches étaient en granit. Il n'y avait personne aux tables dans le patio, la fille était toujours à la réception, elle était toujours jolie. Elle discutait avec le mec qui bossait en cuisine. Tout avait l'air cool. On s'installe à la table sous l'étagère à livre. Les rideaux sont tirés sur le jardin de derrière. Ma mère n'a pas vraiment faim mais elle sait que je finirai son sandwich. Tout est très bio. On mangera sain pour une fois. Je me lève pour aller commander. Je souris mais pas comme je pourrais sourire, je lui souris d'un sourire normal, pas appuyé, ni rien. La Californie, du moins celle qu'on a rencontré depuis notre arrivée atrophie la libido. Les cafés ont l'air bon; notre commande est partie en cuisine. Je retourne m'asseoir dans le fauteuil. Je m'enfonce. Ma mère regarde par la fenêtre, puis les tranches des livres. On se dit qu'on ira au lac après le repas. J'ai l'impression qu'il faudra marcher un peu. Ce sera parfait pour digérer.


Je n'ai pas touché mon livre. Je n'arrive pas à lire. Je lis tout le temps, mais là je n'arrive pas. J'ai toujours lu beaucoup. Mais rarement au lit. Je n'arrive jamais à trouver la bonne position. J'aime lire dans les trains, dans les bars. Et le matin dans la salle de bain, couché sur un tapis douche avec le bruit du foen et la lumière du jour qui monte ou plus tard dans la journée quand j'ai le temps de faire une sieste. J'ai commencé vers 13 ans je crois, peut-être avant, dans la salle de bain de mes parents, celle qui donnait sur leur chambre avec le meuble en bois pour adosser mes coussin et le ventilateur à air chaud gogé de poussière que je respirais sans m'en rendre compte. Je me levais et je descendais à la cuisine me faire un bol de corn-flakes et je remontais. Parfois mes parents étaient déjà levés, je me couchais quand mon père se rasait ou quand ma mère prenait sa douche. Ils n'avaient pas besoin de m'enjamber, la salle de bain était assez grande. Je lisais. Je regardais mon père dans le miroir du lavabo, ma mère nue qui sortait de la douche. Parfois je somnolais. Parfois j'essayais de retrouver mes rêves. Je n'ai jamais vraiment arrêté d'occuper les salles de bains, sauf quand mes logements ne le permettaient pas. C'était comme un ventre. c'est toujours comme un ventre. Toujours humide, toujours chaud, toujours avec un bruit comme un séchoir ou un sèche-cheveux, comme ses bruits sourds qu'on entendait en permanence, les derniers mois avant de naître.


























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