10.09.2015

Haïku de route-77/ Caldeira








Ca devait être bon. Et sain. On a dû prendre un café. Ma mère a dû prendre un brownie. Je suis presque sûr qu'elle a pris un brownie. On retourne à la chambre. Ma mère prend son bandana. Le soleil est là. L'air vient de la montagne. Je prend mon veston, au cas où et on monte dans la Ford. On descend la 395 en longeant Picnic Shortcut Road. Ce n'est pas si loin. On bifurque dans un parking, nouvelle langue de béton bordée de grosses pierres. Ma mère met son bandana à tête de mort avant de sortir de la voiture. On fait quelques pas et on entend une fillette, devant nous, qui crie et saute sur place en agitant les mains. Sa mère l'enlace et essaie de la calmer. Je m'approche. Ma mère me suit. "A snake! A snake!" Elle pointe du doigt une pierre blanche. Elle n'ose plus bouger. Elle doit avoir 8 ans. Ma mère et moi, nous nous rapprochons de la pierre. On regarde en-dessous, sans la soulever. J'aimerais tellement me forcer à croire que je l'ai vu. La famille de la gamine est obligée de faire un large détour, le plus loin possible de la pierre pour qu'elle se décide à bouger. Nous sommes déjà loin sur Mono Lake Trail, elle tremblait encore quand on les a dépassés.


Parfois la vie entière se réveille dans l'irréel. La route descendait en pente douce depuis la 395, le chemin, lui est droit, longé de pierre en traitillé, la végétation est belle, des brins d'herbes en bois, de l'herbe longue, des rougeurs comme un visage ivre, malade et joyeux d'un adolescent. Il y a de l'air et devant, la plage dure et blanche de sel. La journée est comme une chanson de Jeffrey Lewis. Il y avait quand même quelques voitures sur le parking, mais je ne vois personne. Ils doivent s'être répandu sur les 25 kilomètres de berge. J'ai tellement envie. Et parfois, j'ai tellement envie d'avoir envie. Ici, il n'y a rien. Je n'ai envie de rien. Je marche à côté de ma mère. En face il y a de l'eau. Enfin de l'eau. Je ne réalise même pas l'absence d'envie. Je réalise le sel. Je réalise la blancheur sale vers laquelle on s'avance. Je réalise comme un oeil-caméra. Je crois tant que vivre c'est avoir envie. Mais là je me demande si ce n'est pas le contraire. Ce serait drôle que vivre, ça ne voudrait dire que vivre. Se lever et marcher. Et n'utiliser que ses cinq sens. Peut-être qu'on ne mourrait pas. Peut-être qu'on meurt de s'épuiser à avoir envie de quelque chose, n'importe quel quelque chose.


25 kilomètre de berge. On rêvait d'eau. On est sorti du Mojave, de la Mort, du sable. On a vu une mer de sel à Badwater. On approche de l'ancienne caldeira. Il y en a sur Vénus, elle s'appelle Sappho Patera, sur Mars, Apollinaris Patera, sur Triton, Leviathan Patera et sur une lune de Saturne comme dans la chanson de Capdevielle avec le désert, sur Io, la vache au taon qui cause avec Prométhée dans la tragédie d'Eschyle, Loki Patera. Mais là, on est sur Terre, sur une ancienne zone de destruction volcanique. On va mettre les pieds sur le monde d'avant. Le monde d'avant nous. On marche sur un chaudron, une des failles en anneau où Héphaistos fusionnait la matière pour qu'on soit et qu'on brûle. Que nos religions sont pauvres et tristes, que Dieu est pauvre et triste et Allah et Jahove. Que la terre est belle et le ciel, bleu. J'aimais mes religions d'avant, j'aime les Grecs, j'aime la complexité, le dialogue, l'impossible unité, l'enjeu et le dialogue des forces, les histoires que je reprends et que je raconte parfois au petit, dans son lit, avant qu'il s'endorme. Les dieux d'avant, les demis-dieux, les héros, toutes ces conneries qui se parlent sans s'entendre, s'étendent en s'échangeant de la force, nos ions, nos neutrinos, notre sang, notre vie électrique.


























les caldeiras sont généralement identifiées comme paterae, telles que Sappho Patera sur Vénus, Apollinaris Patera sur Mars, Loki Patera sur le satellite Io de Jupiter, ou encore Leviathan Patera sur le satellite Triton de Neptune.



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