11.06.2015

Haïku de route-87/ Solitude at Bodie Mike's

















Ce bled me fout dans l'entre-deux. Je suis flottant. Je n'arrive pas à faire la sieste, je suis à la fois tendu et amorphe. Je n'arrive pas à savoir si je perds mon temps ou si je le gagne ou si j'y récupère quelque chose ou si je devrais y rajouter quelque chose pour le garder et en faire une suite de seconde réussie. Dans les bars, il y a deux solitudes qui se déclinent chacune et qui se font même parfois des manières pour se rencontrer. Il y en à deux parce qu'il y a deux manière de s'asseoir qui sont deux hauteurs et deux perspectives. Il y a l'assise dans la salle à boire et les tables de l'assise avec leurs situations et le fait de bien savoir à quoi et à qui on va tourner le dos et comment on va faire face et aussi par où la lumière doit venir et ce que l'on veut éclairer de nous et ce que l'on veut laisser dans l'ombre et ce qui doit vivre et bouger dans la pénombre. L'assise assume. Elle se montre en se coinçant les jambes sous la table et ainsi on se décide à rester, de se poser vraiment en s'entravant et ainsi, pour un temps. Les yeux sont comme les yeux de ceux qui sont commme nous et alors, dans nos îlots séparés, on est tous égaux et que lorsque on se regarde, les rapports de force ne viennent pas de là.


Au bar, par contre, assis sur les tabourets ou accolé, debout avec un pied puis l'autre appuyé sur la barre en bas, le long, quand il y en à une, on peut évidemment y rester des heures et même parfois plus longtemps que ceux des îlots, posés, les jambes calées et coincées sous les tables. Mais on y est transitoire, on y est précaire, on y est sans vouloir y être ou on fait comme si et on toujours prêt à ne plus y être, on y est toujours éventuellement et comme féré, mais pas dans les filets de l'assise avec les mailles de jambes sous la table, non, féré mais avec toujours la possibilité, d'un coup sec, par un mouvement brusque de se désharnacher de l'hameçon. Au bar, au centre, assis ou accolé face aux pompes, on s'y installe parce que celui ou celle qui va-et-vient y revient toujours et que de chaque côté on a laissé bien d'air pour, on ne sait jamais et que cette solitude-là est un fade mensonge qui ne sait pas se digérer. Au bout, à chaque bout, c'est souvent dans le sombre et il faut souvent lever la main parce qu'on y est vite oublié comme on a décidé de l'être. Ce sont dans les bouts que se font les amants et les conspirations. Et de là, du bar, assis sur les tabourets ou accolé dans le précaire, on tombe sur le monde des assis tout en leur tournant le dos. Le bar, c'est l'arrêt plus ou moins long des nomades, l'assise, la pause des sédentaires.


Ca boit peu ou ce n'est pas l'heure. La salle au fond a des angles que je ne vois pas. Je ne me rappellerai pas la musique, ni des écrans, ce qui leur passe. Je m'assieds au bar, à deux tabourets à gauche des pompes. Il n'y a personne derrière le bar. J'attends un peu. Un homme, jeune, grand, mais moins que moi, surgit d'une autre salle, par un couloir, dans mon dos. La musique recouvre le brouhaha de la terrasse, bien qu'elle ne soit pas bien loin; tout ce bruit pour moi. Je crois que je prends une bière locale, une grande. Il est tout à fait possible de rester des heures sur un tabouret sans dossier, dans un bar sans personne, sans vraiment rien écouter ni vraiment rien regarder et même sans serveuse dont il faut toujours tomber amoureux, sans boire vite, sans vraiment penser ni vraiment réfléchir, sans vraiment construire quoi que ce soit de pensé ou de réfléchi et même sans rêver vraiment à des choses dont on voudrait pourtant vraiment rêver. Il n'y a personne au bar. La barmaid est un barman qui ne reste pas. La musique est merdique, les écrans qui attirent toujours l'oeil passe des choses qui ne resteront jamais dans cet oeil ni dans l'autre, il n'y a pas d'ours empaillé, ni d'indien sculpté dans du bois, ni de tableaux, ni de posters, ni de cartes postales, il n'y a rien de particulier écrit sur les sous-verres, rien de dessiné, pas de couple baisant violemment contre le comptoire ni de type tranquillement assis auquel on a tiré deux balles dans la tête. Il n'y a que moi à boire un verre dans le jour qui se plie.

















































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