11.12.2015

Haïku de route-89/ VACANCY

















Le soir vient et je l'ai laissé venir. Autant le jour se plie que la nuit, elle, se déplie et qu'entre les deux les règnes s'échangent et que c'est en lumière qu'elles s'échangent quand la nuit est déjà sur le sol et au fond, sur l'autre rive et en bas, dans le bush et dans les arbres qui dépassent la crète et les touffes des buissons qui surnagent sur l'écran du lac et se découpent tous en noir dans le ciel encore bleu. Je suis sorti après avoir essayé de replier la carte d'oncle Jo. Je n'ai jamais su replier les cartes correctement, jamais été capable de retrouver le nom de dieu de bon ordre des plis et le début, si on doit commencer vers la droite ou vers la gauche ou par le bas vers le haut ou l'inverse, en accordéon et dans quel sens? Ma mère est sortie fumer une cigarette devant, pendant que je m'échigne sur cet saloperie de carte qui troue déjà un peu et que de toute manière je devrai redeplier demain alors parfois on se dit "mais merde et à quoi bon?". Je lui ai raconté les magasins dont elle se fout et les deux restaurants dont elle se fout tout pareil. Elle n'a pas faim. Le jour est déjà dedans en Belgique et le petit l'aura encore long à faire ce qu'il veut avant que la semaine ne reprenne. Je ne sais pas s'il est chez son père ou chez sa mère ni s'il faut beau ou pas ni si je lui manque et combien et comment. C'est en pensant à tout ça que je suis sorti alors que la lumière en haut et ici, en bas se pliait doucement.


L'homme n'a pas tellement de patience. Ils allument ses néons alors que le jour suffit encore. Le VACANCY du El Mono, le MO du Lee Vinning sans le TEL, SHELL en orange et nous, tout en rose. J'ai traversé la route. Ma mère n'a pas voulu m'accompagner. Je crois que le désert l'a bien trop prise et oncle Jo aussi. Le désert dans le corps et Jo dans le reste. Dans la famille, on ne dit rien ou alors tout, mais en peu qui est, certes, déjà quelque chose mais jamais assez et toujours déjà trop, parce que lorsqu'on dit peu et puis qu'on ne dit plus rien, il reste un reste, dans la tête et les nerfs et le ventre et dans les migraines et les aigreurs et les rougeurs sur la peau. Il reste un reste qui traîne et râcle et pousse à faire quelque chose, mais n'importe quoi, quelque chose d'autre, de toutes manières autre puisqu'on ne sait pas ce que c'est et cet autre, ce sont souvent des belles conneries que l'on fait. Et ces conneries n'ont pas de mots. Elles ont bien une musique, un truc qui rôde, un truc en notes parce que les notes n'ont pas de mots et qu'elles parlent aux nerfs et au ventre, qu'elles parlent aux ulcères et aux rougeurs sur les peaux. Je n'aurais pas dû arrêter le piano parce que le solfège me faisait chier. Mes parents auraient dû me forcer, m'obliger. On aurait pu parler avec ma mère, probablement beaucoup mieux. Elle qui joue si joliment.


Dans les peu de mots on se dit par exemple "ça l'a touché" et on dit "on a bien fait" et on dit "quelle chaleur" et on répète plusieurs fois "ça va, ça va" et on s'arrête par là; en général, on s'arrête par là. Et après, il y a le temps et le paysage qui fait comme un même qui s'étend lentement et on a beau chercher et chercher encore, se tirer les yeux sur le monde qui défile, on ne trouve rien et c'est donc à la tête de s'occuper comme elle peut et au corps de se répandre, mais d'en-dedans seulement, parce qu'enfermé dans la Ford, les jambes, à part se les croiser et se les décroiser, elles ne peuvent pas aller très très loin. Je suis sorti avec les néons qui s'allument. Il y a une famille de femmes devant la station Shell qui regarde comme moi le jour plié et la nuit se déplié. En bas, ça descend vers les buissons. On devine dans le dense, le Lee Vinning Creek Trail et juste dessous nous, du merdiers rouillé. Le lac fait comme une nappe de glace et du pétrole coule sur les montagnes à l'est. Le vert qui se répandait vers les berges a pris du charbon et les crètes qui se collent encore au soleil sont toutes humides et bleues comme les yeux de mon père. Le ciel va du rose d'un premier verre de vin blanc à la couperose des décennies de picole. Puis le sombre.


































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