11.19.2015

Haïku de route-93/ Patience

















J'ai jamais de patience quand j'ai faim. J'ai rarement de patience quand j'ai envie de quelque chose. J'ai souvent l'impression que si et je m'énerve pour rien et je ne sais pas pourquoi je m'énerve, je me demande pourquoi je m'énerve et je n'arrive pas à voir que c'est parce que j'ai envie de quelque chose et que je n'y arrive pas ou qu'elle ne vient pas ou qu'elle ne peut pas venir ou que je ne sais pas comment la faire venir. J'ai encore moins de patience quand je suis prêt mais que pour y aller il faut que quelqu'un soit prêt aussi. Je ne dis pas que ma mère chichite, on dirait même au contraire, mais ce ne sont pas des questions de minutes, ce sont des questions de là, des questions de tout de suite. Le féminin de ma mère est léger. Il est là, elle le marque, mais assez vite, elle le marque doucement, assez rapidement, mais pas assez rapidement là, maintenant, quand j'ai faim, quand ma valise est faite, quand il n'y a pas de raison de ne pas aller manger. Elle a ses boucles d'oreilles et un maquillage que l'on remarque à peine mais qui est là et que l'on remarque si on la regarde. Et des trucs que les filles font. Des trucs que les femmes font sans qu'on comprenne bien quoi et pourquoi mais qui doivent avoir un début et qui doivent avoir une fin. J'entre dans la chambre. Elle est encore nue. Je vais dans la mienne, je ressors l'ipad de la valise et je retourne m'asseoir dehors devant les fleurs et je fume sur internet. Je regarde la route, les haltes de la route, les villes de la route, les éventualités pour les nuits de la route. Je passe les pages pour passer le temps.


"Alors voilà... Je suis prête" avec le sourire plein, légèrement penchée vers l'avant et avec l'accent de chez moi. On laisse les affaires dans la chambre. Elle n'a pas fini. Et le café d'abord dans le soleil plein. On fera le check-out après. On monte les marches. La terrasse est vide, les tables libres, deux et le soleil sur les plates-bandes. Le vieux couple est assis à l'intérieur comme si tout allait bien, dans les fauteuils, enfoncé. Je leur souris. On regarde la carte du bar. Je veux du lourd, bien entendu, ma mère, des céréales et des toasts bien entendu. Je ne me rappellerai plus exactement ce que j'ai pris. Il devrait y avoir des oeufs et un bain de fromage et de la viande sous une forme ou sous une autre. On commande et on attend avec un couple au comptoire. La fille d'hier n'est pas là. Des gars. Jeunes où tout roule. On sert le couple à peu près en même temps que nous. On sort ensemble en tout cas, je tiens la porte. Ils nous entendent parler en français; Alors on lie les mains pleines et on se partage sur une table dehors. Les Hollandais dans la bière de la piscine de nuit à Barstow nous ont arrêté là, alors qui sait? Il n'y a pas de croisées innoncentes et il y a tant de journées où l'on court à tenter d'aggriper un oeil ou une voix, où la bouche pâte à trouver les mots pour entamer et où tout se rate et se castre et se timide, bloqué et tous les jours où les portes s'ouvrent mais où on dort sur le seuil et c'est nous qui n'entamons rien et peignons des murs à l'eau clair. Et il y a le rare où tout coïncide et rien ne se choisit, mais ça suit et se fait et on se retrouve à manger des oeufs dans un bain de fromage en face d'un couple, la soixantaine dans une boucle de Frisco à Frisco.


J'ai raté le décollage, gamin, ado, j'aipas pris le bus, l'histoire était derrière, mon père était vieux, plus vieux que les autres pères, bien plus vieux et je ne voyais pas vraiment l'intérêt de la faire cette histoire, encore moins d'y être plus que ce que je devais. Je n'avais rien à faire dans ce bus qui venait de passer, ni dans le suivant, ni dans le suivant, ni dans le suivant, avec leurs musiques et leurs images, avec leurs mots et leurs codes. Je n'ai pas pris le bus, je l'ai laissé filer et je voulais un peu de mon père un peu vieux et de ma mère, moins vieilles mais d'avant. Ma grand-mère, la dernière des grand, le monde d'avant. Mon monde, celui d'avant. J'ai rebroussé la route. J'ai mis ma tête plus loin dans cette route-là. Le futur? A quoi bon? Je laissais mes cheveux à la longue et filasses et je me laissais appeler par des plus petit, "spaghetti", je signais mes tests "raspoutine et j'adorais les années soixantes, la fraction armée rouge et je rêvais de fumer mon premier joint. J'étais violent. J'étais doux. J'étais peureux. J'étais timide. J'avais la violence des timides, la violence des doux. On parle la bouche à demi-pleine, la bouche dans les oeufs et le café. Ma mère raconte son Boston, le semestre MIT, la première salve au front de la méthode Piaget. Lloyd et moi parlons littérature, le carnet que je traîne et les mots, les mots ados que j'ai pris à mon compte, qui m'ont été, ces mots américains, mes sentiments élégiaques vaudois, la route et tous les garçons sauvages.
















 















 

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