3.29.2012

Sur le "mythe de Sisyphe"

"Il faut imaginer Sisyphe heureux"

Cette phrase ne suffit pas à nous rassurer, elle comporte trop de mystère, elle enferme trop de possibles, elle est indéfinie parce qu'elle ne nous situe pas quel moment de Sisyphe nous devons isoler, s'il faut prendre sa condition comme une totalité ou si l'on doit s'attarder sur un moment particulier de son actes, si notre salut est une séquence, un espace de sa/notre condamnation.

Camus nous pose un constat clair de l'absurde parce qu'il fait partie de ses penseurs qui ont su imager un concept, concrétiser l'abstrait,mais cette image n'est pas un instantané photographique ni une peinture, mais un film en repeat one et plan large.

Lors de divers discussions sur le sujet, j'ai remarqué que la plupart des gens cherchait à défaire le général, comme terrorisé de la perspective, réduire le monochrome, plaçant le loop en pause et que dans cette velléité de castrer le questionnement, de nier en somme par la suppression du mouvement cette absence de mouvement qui résume notre existence, ils essayaient de se définir un cadre fixe et rassurant, une empreinte à suivre comme une photo de famille sur le coin d'un bureau.

Ce raccord à la plénitude se manifestait généralement entre une jubilation de l'effort qui serait à la fois sa trajectoire et sa destination unique (imagier musculeux de la peine, exagération de la dimension du rocher, inclinaison de la pente, obstacles et entraves vicieuses) et l'acme, point d'orgue, instant fébrile de la réussite, jouissance de l'achèvement.

Et cette constante d'appréciation n'a rien d'absurde dans un monde dont la matrice est la réalisation et sa consommation, le faire surconscientisé, l'héroïsme dans l'horaire respecté d'une société de service.

L'on ne demande plus quel est notre film préféré, mais quel a été la séquence la plus marquante de notre vie.
On nous conditionne à estimer en image(s) ou fragment(s), on réduit notre rapport au monde à un imagier et on réduit cet imagier à sa préhistoire, c'est-à-dire la peinture ou la photographie,
on ôte à la totalité la chance de pouvoir s'expliquer, on cloisonne tout développement d'une pensée, on ne peut la considérer qu'en chapitre.
Nos discussions sont des cut-up appliqués, nos pensées sont des cut-up. La pensée est séparée d'elle-même, elle glâne, elle éparpille.

En jouant ce jeu de la résolution instantanée avec le cas Sisyphe, l'ile que je séparerais du continent serait cette infime où le rocher perd pieds et s'entame à dévaler la pente une énième fois et ce moment bien particulier de la joie où je considère l'oeuvre à reprendre, le travail à recommencer.
On se plaint tant des emmerdées effroyables que nécessitent la conduite d'un projet quel qu'il soit, la fatigue, les autres, les informations perdues, inexistantes, qui ne viennent pas, les gens qui ne répondent pas, qui répondent rien, mal de travers, les attentes, les courses, les nerfs pris, la fatigue, l'ennui, l'excitation, les va-et-vient émotionnels, la croissance du "plus jamais ça".
Mais on repart tous.

Parce que le faire est également outil dont on dispose pour ne pas penser.
Pour oublier que rien ne sert à rien. Que rien n'est vrai. Qu'il n'y a pas de dieu(x) ou d'idée(s) pour définir le rien, rien d'autre qu'une définition du dictionnaire.

Sisyphe dans la totalité de son éternité est un bandeau coloré.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire