9.23.2014

Nouvelle 32/ Quelques chats de passage

Robbie servait. Il ne savait plus trop depuis combien de temps. Il avait l'impression de s'avaler lui-même, ses cernes le tiraient, lui tiraient le regard vers dedans, à travers ses paumettes et résonnaient par les tempes des avants qui n'avaient pas vraiment existés. Un petit blanc entre deux clients, parfois il sortait fumer sur le trottoire, la peau grise dans le ciel qui lui disait pareil et les filles qui ne lui disaient rien, montant et descendant la rue. Faire autre chose. Peut-être qu'il serait temps. Robbie ne savait pas trop quoi. Les heures creuses il avait mal aux jambes. Autre chose ça valait quelque chose et c'était n'importe quoi qui valait comme rien. Un petit blanc dans les heures creuses et parfois une cigarette dans la peau grise des trottoires, un plafond jouait un ciel comme un autre, un patron comme un autre, un travail comme un autre et un cul est un cul comme on dit.


Patrick mais que tout le monde appelait Le Pat se tenait debout la main serrée sur son eau-de-vie à peine entamée, figé, le regard sur la rangée de bouteilles ou sur les photos de la rue et du bar d'avant, secoué et blafard, Mireille venait de sortir au rationnement.

- c'est pas tous les jours dimanche!

robbie faisait avec et comme-ci, Le Pat glissait et remontait mais c'était déjà enfant comme ça, la Grosse Marie l'avait raconté un soir et répété tant depuis, Le Pat gamin marchait le matin vers l'école la tête peinée à lorgner la vie dans les interstices de la rue puis la relevant, revenant à lui, et il tenait droit dans la fierté d'être en train d'être grand et l'après-midi, elle le voyait depuis la fenêtre de sa cuisine, la tête au ciel, flottant, sautillant avec son sac qui lui pliait le dos puis plier avant de rentrer chez lui. La Grosse Marie, elle aimait les gens juste avant qu'il ne baisse trop les yeux, elle les aimait le regard percé, juste juste au-dessous de l'horizon et le dos droit.

-Surtout quand mardi rime avec lundi!
-et mercredi!

Paluche venait d'entrer et il connaissait les jours de la semaine.

-On respire ces jours!
-Attends que Le Pat ouvre la bouche!

Et on riait. On riait bien. La vie en biais. S'il n'y avait pas les mots, on aurait que des glissières de regard sur les bouteilles en rangées et les photos du bar et de la rue d'avant.


Le cessez-le-feux n'avait pas duré longtemps. Les combats avaient repris dans les quartiers ouest. Parfois un pich-up passait devant le bar avec cinq ou six miliciens accrochés comme ils pouvaient à des regards froids et excités sans photos de rien d'avant. On tirait à l'arme lourde, des rafales de fusils automatiques. Au bout de la rue, trois hommes, les fusils sur l'épaule remontaient le trottoire lentement. Peut-être qu'ils viendront boire un petit verre avant de rejoindre leur unité stationnée plus haut dans l'ancienne école de commerce.

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