12.05.2015

Haïku de route-97/ Liquid Ice on Tioga Lake


















Ma main joue des fréquences sur la tache verte que fait le Yosemite sur la carte. Je la déplie et la replie, évidemment mal, sur mes genoux pour la réduire au carré de la journée. Elle bombe un peu mais je vois tout bien. Est-ouest à plat sur les fréquences des lacets, pour l'instant c'est tout droit, un peu pelé, j'imagine les amplitudes. Tioga Pass, la route la plus directe de Bishop à Fresno, de Mammoth Lakes à Merced ou Stockton. Pour le nord, il y a quatre passages entre le Yosemite et le lac Tahoe, mais ce sont 200 miles sans portes vers le sud et Sherman Pass dans le compté de Tulare. C'est bien qu'il soit ouvert. Il y a des années jusqu'à fin mai, début juin. Peut-être que, dans le futur, il y aura des années de sable jusqu'à 3031 mètre. La pente est douce, elle veut traîner des pieds. On sent qu'on va laisser l'horizon. En face le gris se blanchit et le blanc se rapproche et enlève du bleu au ciel et lui met de la masse. J'ouvre un peu la fenêtre. L'air se dessale et désaltère. La montagne a le goût de l'eau. La température baisse un peu mais il y a tant de lumière. On ne roule pas vite. On va prendre dans les falaises. Et dans l'en-face c'est comme si on était en haut et qu'il y avait des pics plus bas et la neige qui s'approche raconte la même histoire que les panneaux. Ce qui est vrai doit bien l'être. Les courbes sont longues, encore, la montagne encore prend son temps à s'étendre et les troncs, sur la gauche de la route, se rapprochent.


Les arrêts sont des coeurs de route. Il y a des fleurs qui ne pousseront bientôt plus nulle part. Il y a les piquets rouges comme pour le chalet qui gardent la ligne d'asphalte pour l'hiver. Il y a la radio qu'on pourrait écouter ou je pourrais m'enfermer dans mon i-pad et tracer une bande-son, mais je n'en ai pas pour la montagne. Mes sons ont toujours eu des gens par-ci par-là, des gens presque là, des gens à deux doigts, mes rythmes ont tous des rues. Je ne sais pas s'il existe de la musique pour la montagne. Il y avait un groupe qui s'appelait Mountain mais il racontait des choses en béton, son son était avec du béton ou avec des gens dans tous les cas. Tous les sons de mes musiques sont avec du béton ou des gens ou des gens en béton. Le lac Ellery et les plaques de glace qui se détachent du lac Tioga, c'est comme une gramaire qui descend la rue, des règles qui sortent des livres pour vivre. L'été de la langue, c'est la rue, les routes, les bars, les virgules qui se placent où elles veulent, les relatives à l'instinct. L'académie, c'est l'hiver de la langue, ce qu'elle éteint ou ce qu'elle fige de la rue. La glace qui se détache et en-dessous l'eau qui n'a jamais cessé de bruire du lac Tioga, cette eau sur laquelle on ne peut plus marcher, c'est la musique de la langue, ma musique de la montagne qui gèle et dégèle, les mots à ma mère, ses mots à moi, les silences et cette nage dans la langue, dans notre langue à nous.


Les premières neiges contre nous, ma mère me dit qu'on peut s'arrêter quand je veux. Je lui demande, là, maintenant. Elle se rabat sur le côté. J'ai juste envie de mettre mes pieds dans la neiges, ses pieds qui ont pris le sable avant-hier. Je sors pieds nus. Elle est dure et craquante. Je maisse jusqu'à devenir gourd. Mes varices sont contentes. Le sang fouette et réveille comme dix cafés. Je demande à ma mre si elle veut venir aussi, un peu, mais elle préfère rester dans la voiture. Je suis heureux comme si je découvrais la neige. La mort me fatigue un peu. Là ça fait du bien de voir ce qui se réveille et ce qui fond et tout le vert autour et l'odeur de la neige, forte, qui prend tout l'air avec dedans les aiguilles des sapins et la sève qui revient. Je remets mes pieds, le gravier, un peu de terre et des brindilles sur le sable du sol de la Ford et on repart. La lumière, ce sont des javelots qui tombent sur le pare-brise. Je ne me rappelle plus quand j'ai cessé d'être malade en voiture. Il y a dû y avoir une année où l'on a passé le col sans s'arrêter et que je suis sorti devant le chalet, de l'odeur de tabac froid de la voiture à l'air de la Léchère, sans avoir la nausée. Je ne me rappelle plus quand j'ai obligé mes parents à arrêter de fumer dans la voiture, mon père surtout. La même année peut-être où j'avais écrit dans un carnet que je ne fumerai jamais. Comme quoi, les moyens de trahir l'enfant qu'on était sont infinis.
















































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