12.21.2015

Haïku de route-98/ A Sun for No One
















Tioga Rd, on bifurque un peu sur Yosemite Rd et on rembranche. J'ai longtemps rêvé l'épique fatigué d'un soleil pour personne, ne serait-ce le mien, la tombe de tous les présents, un col à gravir pour la vue seule, le regard endormi sur les arbres qui s'ouvraient le vide et la profondeur des vallées, la gerbe au ventre des lacets interminables des secondes. J'ai jonglé dans l'enfance à courir les vignes, tout seul entre les murets, halluciné de passé guerriers, héros vivant ou héros à mourir, fantôme de toutes mes hordes sauvages pour compenser ma peur de l'autre, de tous les autres, bêtes ou gamins, les mots de leurs gueules, et tous ces corps qui s'échinaient à devoir faire des choses ensembles. La nausée du présent m'a fait rater ma fin de siècle. Le réel était tapis dans les cuisses et les robes de ma mère, je m'aggripais de cris et de crise et de pleurs et de tout ce que ce monde n'était pas fait pour moi. Avec le temps, il a fallu se tasser et de tous ces autres en digérer quelqu'un et de tous ces cris, les ravaler de plus en plus loin dans les nerfs et fatiguer d'autres épiques, dans ce col à gravir, toujours identique, les yeux toujours fermés sur le vide et les vallées d'en bas et les pics d'en haut, la tête prise dans le soleil des sommets et le soleil des plaines, la tête dans les sources et dans la mer, tandis que le ventre s'habituant gentiment, doucement, péniblement aux lacets interminables.


On s'arrête à nouveau. La montagne prend ma mère. On sort de la Ford, je m'étire au soleil, je prendrai bien un café encore. La plaine m'apprend ce que veut dire "meadow", derrière la barrière de bois neuve, l'herbe gorgée et un long trou dans les arbres sur la droite et devant un bloc de plis lisses qui coulent vers la plaine comme une peau dans le froid et le soleil. Quelques arbres le prennent dans les flans et sur ses hauteurs et l'air n'a même pas besoin de mettre une veste. Des passants rôdent la nature sur un chemin balisé et la route à l'arrière est pauvre. L'air est trop pur pour ne pas fumer. J'allume une camel. J'aimerais aller me tremper les pieds dans les gouilles, marcher l'herbe et la faire venir dans le sang et crapahuter un peu dans la roche, chercher les fentes entre les plis et y mettre les doigts et soulever tout ça un peu jusqu'au vertige et pas plus loin. Et ça me donne faim tout ça. "Déjà" en traînant le "é" et en tombant le "a", "Mais..." et à chaque point la joue va avec la nuque sur la droite et sur la gauche et sur la droite et revient doucement s'arrêter pour regarder droit devant elle. Je souris. Elle aussi. J'écrase ma cigarette sur le sol et éparpille les restes de tabac. Je mets le mégot dans un sac plastique à l'arrière pour une poubelle plus tard. Et on renquille quelques miles.


Quelques miles et pas un de plus. Il y a derrière les sapins des galets géants posés en palier et une bande pour arrêter la voiture. Je laisse ma mère à l'arrière, je passe les aiguilles qui crissent sous mes pieds et je monte mon corps à 45°, penché parfois pour m'appuyer le long du lisse et à nouveau debout quand la roche fait la vieille peau. Ma mère a fermé la Ford et a pris son sac et son appareil photo. Je grimpe au plus haut, je passe des caillasses blanches et noires en balance, des rochers sentinelles en équilibre sur la pente qui ne glisseront pas s'écraser sur le dos de ma mère déjà un peu haut et assise en contre-bas à regarder le lac de sapin et les montagnes dans la neige, devant. Vers nous. Je monte pour monter, les semelles lisses pour embrasser ça et ma mère et les pierres en balance et tout ce calme qui fait un tout, un chaud dans l'air frais, du vert sous le blanc qui est sous le bleu, les choses lourdes qui tiennent d'elle-même et là-haut qui est pas si haut avec un à-pic et la course pour croire qu'on est une bête. "Tu te veilles, hein!" Oui, je me veille. Je redescends un peu, sur la gauche, là où ça part en terrasse et quand la route se tait, on se croirait dans le désert. Mais en montagne, on peut monter là où le souffle des hommes ne les suit pas et on y croit mourir, que c'est la mort, une autre mort mais la mort comme dans le désert, alors qu'il y a toujours un brin de neige ou une ligne de glace qui garde la vie pour un jour, peut-être un torrent.

























































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